Viktor Karady*

 

Les inégalités ethniques et confessionnelles dans les performances scolaires des bacheliers en Hongrie (1851-1918)

 

 

Résumé

Cet article montre l’impact des diversités confessionnelle et ethnico-culturelle dans la formation des élites cultivées modernes en Hongrie. La période permet d’analyser les effets de la politique de « nationalisation » des élites (1851-1918) et de s’interroger sur leurs transformations suite aux bouleversements postérieurs (révolution, démembrement du territoire, occupations allemande puis soviétique). Le système de formation, outre ses visées pédagogiques, y a joué une fonction assimilatrice, en promouvant l’homogénéité culturelle et la loyauté nationale. Les inégalités scolaires sont observées au moment de la préparation au baccalauréat. Le taux de scolarisation et les inégalités de performances des élèves sont rapportées à la religion et à l’ascendance ou à l’origine ethnique (méthode patronyme). Il en ressort que la hiérarchie des performances épouse celle des fréquentations scolaires et la religion et l’ethnicité jouent un rôle décisif comme facteurs d’excellence (notamment dans les classes moyennes et supérieures), de même que les trajetoires scolaires longues et « nobles » constituent la principale voie d’assimilation des minorités allogènes en mobilité ascendante (Juifs et Allemands surtout). Des pistes d'interprétation de ces inégalités sont esquissées et croisent différentes rubriques : mobilité socio-culturelle, urbanisation distinctive, assimilation nationale et compensation des handicaps sociaux, structure socio-professionnelle de départ, capitaux culturels reçus en héritage historique.

 

Mots-clés: scolarisation, performances scolaires, religion, origine ethnique, assimilation, nationalisation, classes moyennes, élites, Hongrie, xixe siècle long

 

 

* Central European University, Department of History, Nador u. 9, 1051 Budapest, Hungary. E-mail : karadyv@gmail.com

 

 

 

 

Le processus de formation des élites hongroises s’inscrit dans un grand mouvement de modernisation engagé depuis le Vormärz, « ère des réformes » (1825-1848), menée sous la houlette de la noblesse libérale. En 1843, la reconnaissance du hongrois comme langue d’État, remplaçant le latin dans la sphère judiciaire, législative et éducative, s’est accompagnée de la création d’une infrastructure culturelle « nationale » (académie des sciences, théâtres, bibliothèques, musées, etc.) ainsi que la magyarisation progressives des élites allogènes. Cet effort de modernisation administrative et économique a soutenu les mouvements d’acculturation des minorités nationales (juifs, Allemands, Slovaques) et débouché sur une égalisation des conditions statutaires des citoyens. Les jalons de ce procès a comporté la loi de semi-émancipation des juifs en 1840 (puis celles successives d’émancipation définitive en 1849 et 1867), l’admission des roturiers scolarisés à la fonction publique (1841), la suppression des privilèges nobiliaires et l’abolition du servage par les lois d’avril ‘post-révolutionnaires’ de 1848 qui instaurent aussi l’égalité politique de principe (droit de vote pour les hommes adultes sur base fiscale et éducative censitaire).

La construction de l’État nation, pour partie achevée ainsi des avant la guerre d’indépendance perdue contre l’Empire Autrichien, a été relancée par le Compromis austro-hongrois de 1867. Cet accord entre l’élite politique libérale de la Hongrie et le gouvernement impérial de Vienne clôt un antagonisme historique exacerbé depuis la Révolution du 15 mars 1848 et l’écrasement du régime indépendantiste en juillet 1849. Désormais l’autonomie du pays est acquise dans toutes ses affaires intérieures, dans le cadre de la monarchie bicéphale, dite ‘dualiste’. Les fondements législatifs et institutionnels de l’État nation parlementaire de type occidental ont été posées de la sorte, sans que les conditions socio-culturelles de sa réussite en aient été réunies. Il n’y avait en effet pas la moindre unité ni en matière confessionnelle – comme presque partout dans les États européens depuis en gros la Paix de Westphalie (1648) – ni encore en matière linguistique et culturelle, au point qu’aucun agrégat religieux ou ethnique ne détenait une majorité démographique.

Du point de vue des divisions linguistiques, la taille de l’agrégat hungarophone passa de 40 % au début du xixe siècle à 54 % à peine en 1910, à la suite de forces pressions assimilationnistes pesant sur les allogènes. Sur le plan confessionnel, même l’Église catholique romaine, la plus importante confession du pays par son statut de religion d’État issue de la Contre-Réforme triomphante, ne rassemblait à la fin du xixe siècle que 49 % de la population. Le reste se divisait entre Calvinistes (14 %), Orthodoxes gréco-orientaux (13 %), Catholique grecs ‘uniates’ (11 %), Luthériens (7 %), juifs (5 %) et Unitariens (0,4 %)[1]. En 1880 encore on ne compte au recensement que 45 % de Magyarophones contre une majorité allogène composée de 13 % de Germanophones, 13 % de locuteurs slovaques, 18 % de Roumains, 4,6 % de Slaves du Sud, 2,5 % d’Ukrainiens et d’autres petits groupes de langues usuelles diverses. Toutefois le pays continua à être dirigé par une élite politique issue essentiellement de l’aristocratie et de la noblesse historiques se réclamant du statut de ‘Hungarus’ et de l’État prétendument « national ».

Malgré le maintien du poids politique de l’aristocratie[2], le processus de modernisation économique et politique modifia peu à peu les rapports de forces au sein des élites dirigeantes aux dépens de la noblesse et au bénéfice des nouvelles couches montantes, composées avant tout de membres des professions libérales, de fonctionnaires en tous genres et de cadres de l’industrie, du commerce, des banques et des transports - secteurs d’investissements capitalistiques privilégiés. Ensemble, ils tendaient à se définir comme la nouvelle classe moyenne tout en conservant une association avec la gentry (voire une certaine allégeance à son égard), attachés au maintien de la symbolique seigneuriale (úri, herrisch) dans leur mode de vie, dans leurs rapports aux classes populaires et dans leur auto-perception comme ‘Messieurs’ (urak, Herren).

Leur statut dans la vie publique se matérialisait essentiellement par trois critères : une occupation non manuelle et un minimum de propriété, un mode de vie bourgeois (appartement d’au moins trois pièces, domesticité personnelle, etc.) et un capital scolaire certifié (d’au moins quatre classes secondaires en bas de l’échelle, diplôme universitaire en haut de l’échelle et bac au milieu). Ce dernier critère, officialisé dans la loi dite des qualifications de 1883 (portant sur la correspondance obligatoire entre niveau d’instruction et poste accessible dans la fonction publique), a contribué à revaloriser l’éducation formelle en tant que « barrière et niveau », c’est à dire base de classement dans les classes moyennes « seigneuriales ». Il assurait aussi le passage progressif d’un régime de sélection des élites par la naissance (et par le capital social de relations qui s’y rattachait) au régime par essence méritocratique de promotion fondé sur les titres scolaires et des compétences afférentes. Bien que cette transformation des grands principes de sélection et de promotion ne fût point achevée ni sous l’ancien régime ni même d’ailleurs sous le régime communiste (qui n’était pas loin de s’en réclamer), ce mouvement marquait un dépassement (certes partiel) de la pure autoreproduction des élites propre au féodalisme.

Les questions posées par l’impact des diversités confessionnelle et ethnico-culturelle dans la formation des élites cultivées modernes en Hongrie de 1851 à 1948, période qu’on peut qualifier de ‘féodalisme tardif’ jusqu’à l’ère socialiste, ont donné lieu à l’élaboration d’un projet de recherche transnationale sous ma direction dont on va présenter ici quelques résultats particuliers.[3] Il s’agit d’un projet de très vaste envergure, probablement l’un des plus volumineux entrepris sur un ensemble de populations historiques[4]. Il repose sur la réalisation d’un ensemble complexe d’enquêtes prosopographiques, conçues de façon à saisir, aussi exhaustivement que le permettaient les sources, les jalons biographiques (largement standardisés pour autoriser leur traitement informatique), des itinéraires personnels des catégories étudiées[5], à partir de trois ensembles. Le premier en est le public de l’enseignement secondaire classique, le second concerne les étudiants et diplômés de l’enseignement supérieur, tandis que le troisième réunit un ensemble plus disparate d’agrégats élitaires, comme les membres des professions libérales, les intellectuels employés (professeurs, pasteurs, prêtres, fonctionnaires, cadres privés, etc.), les adhérents de certaines associations de type ‘idéologique’ (ex. francs-maçons, bataillons universitaires contre-révolutionnaires en 1919, membres du cercle libéral Galilée, etc.) ainsi que d’autres groupes élitaires définis par le statut de leur participants (tels les officiers de réserve - aux privilèges et attributions sociaux particuliers -, ‘des élites canonisées’ – personnes citées dans biographies ou encyclopédie nationales, voire dans des publications biographiques sur des auteurs, les lauréats de certaines distinctions ou bourses d’études, etc.).

Plusieurs sociétés nationales émergeantes ont été ciblées dans ces enquêtes, choisies pour l’hétérogénéité des origines culturelles de leurs élites postféodales, telles l’Estonie, la Lettonie (pour la période de cc. 1880-1947), La Hongrie (de 1850 a 1948), y compris les territoires perdus en 1919 comme la Transylvanie, la Slovaquie ou la Voivodine (pour 1919-1947). Parmi elles, la Hongrie historique constitue la seule société proprement multiculturelle en Europe contemporaine[6] à la fois sur le plan ethnico-linguistique et religieux, les ‘minorités’ représentant la majorité de la population dans la première période de la construction de l’État nation (1867-1918). La période étudiée permet ainsi tout à la fois d’analyser les effets de la politique de « nationalisation » des élites, engagée dès le Vormärz, puis définitivement en 1859 (après l’épisode absolutiste de 1849-1860), mais aussi de s’interroger sur les transformations des élites consécutives aux bouleversements qui ont affecté le pays à la suite des révolutions de 1918-1919, du démembrement de l’État historique (perte de deux-tiers du territoire en 1919), et de l’occupation allemande (1944) puis soviétique (à partir de 1945). Le présent travail porte sur les élèves des classes terminales des lycées classiques, conduisant aux études supérieures, de 1851 à 1918.

 

1. Les cadres du système éducatif élitaire dans la Hongrie postféodale

Un des grands projets poursuivis par l’administration de l’État dualiste pour favoriser l’essor de ces nouvelles classes moyennes porte sur le développement de l’appareil éducatif. Pour ce qui est de l’enseignement destiné aux élites, le nombre des écoles secondaires a crû globalement de 161 dans les années 1860 à 246 en 1917/18[7] et le nombre des universités de un à cinq (y compris l’Université Polytechnique de Budapest, fondée en 1871), sans parler du réseau provincial des douze académies juridiques à la fin de l’époque, des cinq écoles supérieures d’agriculture celle des mines et des forêts, des quatre collèges artistiques ainsi qu’un ensemble de grands séminaires, facultés et académies théologiques divers.

Ces chiffres masquent un effort de modernisation et de reclassement intellectuels considérables, tout au long de la période dualiste. Au moment du Compromis, la majorité des gymnasiums (lycées avec latin) ne conduisent pas encore au bac (76 sur 146[8]) pour n’assurer que les quatre ou six premières classes sur les huit, cette dernière étant la classe terminale du bac, instauré par la grande réforme scolaire – dite Entwurf en abrégé – de l’Empire des Habsbourg en 1849. À la fin de la période, il n’y avait plus que trente-deux ‘sous-gymnasiums’ de ce type, soit 18 % du réseau d’alors. Qui plus est, depuis les années 1860 se sont multipliées des écoles secondaires d’un nouveau genre : ‘l’école bourgeoise’ (Bürgerschule) de quatre classes, ‘l’école réelle’ sans latin (la Realschule des pays germaniques), l’école supérieure de commerce, enfin, sur le tard (à partir de 1900) des lycées de filles, tous offrant le bac avec, certes, des fonctions variables[9]. Autour de 1900, tous les établissements d’enseignement supérieur exigeaient déjà le bac à l’admission, à l’exception de certaines grandes écoles d’art (tel le Conservatoire de Musique) au statut spécial. À cette époque déjà, la plupart des écoles supérieures professionnelles et artistiques proposaient des cycles d’études de quatre ans (les académies juridiques depuis 1874) à l’instar des facultés universitaires. Alors que, dans les années 1850, l’académie technologique de Pest formait avec 250 étudiants cinq fois moins d’étudiants que Vienne, en 1910 l’audience de l’Université Polytechnique de Budapest atteignait 65 % de son aînée viennoise qui, elle, accueillait en tant qu’établissement germanophone des étudiants de tout l’Est et le Centre européen, l’Allemagne comprise.

On peut rappeler en trois points les données structurelles de ce dispositif éducatif élitaire.

Tout d’abord, il était presque entièrement étatisé, c’est à dire contrôlé et au fil du temps financé par l’État. La prise en charge étatique s’inscrit dans un long processus. Ses débuts remontent à la loi impériale Ratio educationis de 1777, suite à l’expulsion des Jésuites. Le contrôle étatique ne cessera de se renforcer sous le régime hongrois issu du Compromis de 1867.

De là découle la fonction essentielle d’homogénéisation des élites et d’assimilation culturelle de ses candidats allogènes, par le double biais de la langue d’enseignement presque exclusivement hongroise et de la nationalisation progressive des contenus cognitifs transmis, notamment dans l’enseignement des humanités (matières de base dans les programmes des gymnasiums mais aussi des ‘écoles réelles’[10]).

 Pourtant, troisième particularité, le réseau des gymnasiums – pièces centrales du dispositif – demeure très divisé tout au long de la période selon les autorités de gestion – l’État et les Églises, pour l’essentiel[11] – mais aussi, partiellement, par la langue d’enseignement. Si le hongrois est devenu dominant dès 1844, puis après 1859, par contraste avec une germanisation passagère pendant la décennie absolutiste à la suite de la Guerre d’indépendance perdue de 1848-1849, le régime nationaliste a admis très peu de concessions, faisant exception à la règle de la magyarisation complète. En 1910, face aux 232 établissements hongrois, il n’y avait au total que huit gymnasiums de langue allemande (tous gérés par l’Église luthérienne de Transylvanie), cinq gymnasiums roumains, également en Transylvanie (dont trois seulement offraient le bac), et un seul serbe dans le Sud du pays, soit moins de 6 % d’établissements allogènes dans un État où la majorité de la population était composée d’agrégats non hongrois ou du moins en était descendante.

Le tronc central du système de formation des élites était ainsi manifestement destiné – en dehors des fonctions de formation et de pédagogie - à la fonction assimilatrice, pour promouvoir l’homogénéité culturelle et la loyauté nationale des nouvelles classes moyennes.

 

2. Une analyse des inégalités de scolarisation et des performances scolaires

Les inégalités scolaires sont ici observées à un moment particulier du parcours scolaire, le moment de la préparation du baccalauréat, dans les classes terminales. L’attention portée à ce moment n’a guère de précédent dans les travaux d’histoire sociale[12], les travaux se concentrant généralement plutôt sur la sélection sociale, confessionnelle ou ethnique des étudiants[13], sur les choix différentiels des études supérieures, sur les réformes scolaires à visées politiques[14] ou encore sur le comportement professionnel des diplômés sortis d’un cycle d’études universitaires.

Les inégalités de performances des élèves de ces classes terminales dans les principales matières enseignées et en éducation physique sont rapportées à la religion et à l’ascendance ou à l’origine ethnique. L’appartenance à ces catégories a été définie pour l’essentiel par une méthode patronyme. Alors que la religion est une variable relativement objective, en tant que donnée d’état civil pendant toute la période étudiée, l’attribution de l’ethnicité repose sur un codage parfois difficile des noms de famille. Si l’on en est pleinement conscient, les écarts de résultats scolaires identifiés dans nos enquêtes sont suffisamment systématiques et se prêtent à une interprétation socio-historique assez crédible pour justifier a posteriori même le recours aux patronymes comme indices approchés des origines ethniques. Cette démarche méthodologique, qui  n’a guère d’antécédents, pourrait se prêter à la critique anti-substantialiste ou ‘anti-essentialiste’ si nous attribuions aux variables ethnique et confessionnelle une valeur universelle. C’est précisément pour éviter ces écueils qu’on tentera de remonter aux cadres historiquement situés et sociologiquement circonstanciés des inégalités qui marquent les performances scolaires constatées. Ces cadres seront en effet illustrés par la variable médiatrice temporelle (opposant les résultats des périodes successives dans le temps) et par d’autres variables complémentaires servant généralement de facteurs décisifs dans la détermination de l’excellence scolaire, comme en particulier la catégorie socioprofessionnelle du père ou la région et la résidence de naissance et de scolarité.

            Dans les limites étroites assignées à cette étude, tous les croisements des variables de base ressortissant à notre enquête sur les élèves des classes terminales ne sauraient pas être présentés dans leurs détails. On se contentera ici de mentionner les principales données sur les inégalités de performances en question dans les matières soit les plus sévèrement cotées (le latin, les mathématiques et la physique), soit les plus ‘sensibles’ ou significatives dans une perspective de construction nationale (le hongrois et l’histoire), soit les plus ‘clivantes’ en raison de l’apport de compétences ou de capacités extrascolaires qui peuvent y être investies (l’allemand et l’éducation physique)[15]. Pour l’effet des autres variables supposées indépendantes des résultats scolaires, mobilisées dans l’enquête, nous nous contenterons de résumer les principales conclusions qui se dégagent de leur croisement avec la variable combinée du culte et de l’ethnicité.

            Les résultats relatifs aux inégalités de performance (Tableau 2) à partir des chiffres absolus des saisies prosopographiques, livrent bien d’autres indices, notamment sur les différences de fréquentation scolaire (niveaux de sur- ou de sous-scolarisation) au stade du bac selon l’ethnicité et le culte et sur l’importance relative de la magyarisation nominative des juifs en mobilité éducative, ainsi que des indications sur la part d’élèves sur lesquels les informations pertinentes manquent au sujet des notes. Ce sont les différences de fréquences de scolarisation qu’il importe de mettre ici en lumière (Tableau 1), parce que – on le verra – leur configuration peut être rapprochée des inégalités observées dans les variations des performances. C’est sans doute faute de données sur la composition de la population globale selon le caractère ethnique des patronymes que la distribution des langues maternelles sert ici de base de comparaison avec les bacheliers. Il s’agit donc d’un rapprochement dont on ne retiendra que les écarts les plus visibles pour interpréter ceux-ci en termes de fréquence de scolarisation.

 

a. Taux de scolarisation d’après des critères ethniques et religieux

Ces écarts décrivent une hiérarchie relativement univoque. Deux agrégats semblent systématiquement surreprésentés par rapport à leur part présumée dans la population : les juifs et les Allemands. Chez les juifs, l’éclatement entre les ‘Allemands’ de nom et les autres ne désigne que des degrés estimés d’assimilation – puisque les Hongrois nominatifs ou leurs ascendants ont dû demander l’autorisation de porter un patronyme hongrois, geste rentrant dans la stratégie classique d’assimilation. Pour la plupart des membres des autres agrégats ethniques, le patronyme exprime cependant de façon forte sinon exclusive l’ethnicité d’origine, bien qu’on puisse trouver parmi les ‘Hongrois’ des autres confessions aussi des allogènes magyarisés. Ce sont toutefois des cas rares, comparés aux juifs, même chez les germanophones qui ont participé plus souvent que les Roumains ou les slaves au mouvement de magyarisation nominative[16]. La grande majorité des Hongrois de souche (catholiques et calvinistes) est régulièrement sous-représentée dans le corps estudiantin (à l’exception des petits agrégats comme les luthériens ou les unitariens de Transylvanie), mais bien moins toutefois que les ‘autres chrétiens’ (avant-dernière ligne du Tableau 1) appartenant aux minorités roumaine, serbe ou ukrainienne. La hiérarchie de la fréquentation scolaire s’établit donc comme suit : les juifs en premier rang suivis par les luthériens et les autres Allemands en général, les catholiques et calvinistes occupent une position moyenne basse, dépassant quelque peu les grands groupes slaves (surtout slovaques) appartenant à la chrétienté occidentale. Les membres des églises gréco-orientales sont nettement en bas de l’échelle.

Dans une étude plus développée[17], il conviendrait évidemment de faire entrer dans l’analyse bien d’autres variables médiatrices des investissements scolaires que celles évoquées plus bas pour expliquer ces inégalités. Il faudrait notamment prendre en compte le niveau d’alphabétisation des différentes catégories ethno-confessionnelles et les différences d’accès aux équipements scolaires, selon l’existence d’écoles primaires propres, la taille de leurs réseaux d’écoles secondaires, leur niveau d’urbanisation, ainsi que des estimations de leur capital culturel collectif incarné dans leurs clercs et autres groupes d’intellectuels.

 

 

 

 

 

 

Tableau 1. Les élèves des classes terminales des gymnasiums et des ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la religion en Hongrie (1851-1918)

 

Religion

et ethnicité (par

patronymes pour

élèves)

Elèves

des classes

terminales

 (1851-1918)

Population

par langue

maternelle

et religion

(1880)[18]

Indices

de sur-

ou de sous-

scolarisa-

tion

Catholique Romain + Hongrois

19,1

25,1

- -

Catholique Romain + Allemand

12,8

8,6

++

Catholique Romain + Slave, autre

14,0

13,5

+

Calviniste + Hongrois

13,5

13,9

-

Calviniste + Allemand

1,1

0,7

++

Calviniste + Slave, autre

2,0

0,2

+++++

Luthérien  + Hongrois

2,7

1,9

+++

Luthérien + Allemand

3,2

2,8

++

Luthérien + Slovaque, autre

2,9

3,5

- -

Juif + Hongrois

5,0

2,6

++++

Juif + Allemand

13,5

1,5

+++++

Juif + autre

2,0

0,5

+++++

Autre religion + Hongrois (Unitarien)

2,0

0,4

++

Autre religion + Allemand

0,4

0,03

+++++

Autre religion + autre (Greco-

Catholique, Orthodoxe)

5,8

23,8

- - - -

Ensemble

100,0

100,0

 

 

b. Taux de performance d’après les notations

Venons-en aux questions de notre objet principal, les inégalités de performance (Tableau 2). Lorsqu’on parcourt ces chiffres, trois configurations d’inégalités s’en dégagent.

            Il y a d’abord une inégalité très nette dans les niveaux moyens des notes. Le latin et les deux matières scientifiques (mathématiques et physique) sont beaucoup plus sévèrement notés que les autres. Les moyennes dans les autres matières ‘intellectuelles’ dépassent de loin la moyenne en éducation physique. Ces différences expriment les valeurs propres aux régimes des études qui s’objectivent pour partie dans l’organisation du curriculum, c’est à dire dans l’allocation du temps consacré aux différentes disciplines pendant les huit classes du cursus secondaire. Selon le plan d’études des gymnasiums en 1899, par exemple, il n’y avait que cinq matières enseignées dans toutes les classes, le latin occupant un cinquième des heures totales de cours (44 sur 232), suivi des lettres hongroises (30 heures) et les mathématiques (26 heures) contre 16 heures d’éducation physique et autant de religion. Dans les ‘écoles réelles’ (sans latin) ce sont les mathématiques auxquelles on accorde le maximum d’heures de cours (31) complétées par la géométrie (20) et suivies des lettres hongroises (28), de l’allemand (25) et du français (24)[19].

            Le second type d’inégalités transparaît des notes moyennes obtenues par les différentes catégories ethnico-religieuses. On observe d’abord une relative convergence des positions définies par les notes moyennes dans les matières intellectuelles, quelque différents qu’en soient les niveaux. Pareille convergence répond sans doute à une sorte de synthèse parfois volontaire que pratiquent les professeurs en harmonisant entre eux l’octroi des notes, les élèves réputés bons recevant des primes sous forme de ‘coup de pouce’ pour améliorer leurs notes dans les matières mêmes où ils sont défaillants, alors que les élèves de mauvaise renommée peuvent subir un effet contraire. Il y a toutefois des exceptions notables à cette tendance à la convergence des moyennes[20]. Les moyennes en Allemand modifient significativement la hiérarchie observée dans les autres matières intellectuelles au bénéfice des catégories de souche et de capital linguistique germaniques.

Toutefois, les observations principales du Tableau 2 portent sur la configuration des niveaux de performance. La lecture de ce tableau est grandement facilitée par les informations du Tableau 3, qui offre les séries d’écarts des notes moyennes selon les catégories d’élèves par rapport aux moyennes générales dans les différentes matières. On peut y lire aussi entre parenthèses les rangs d’excellence.

La configuration des moyennes et des rangs reproduit d’assez près la hiérarchie constatée des fréquences relatives de scolarisation citées dans le Tableau 1. Les champions d’excellence sont ici encore les juifs qui occupent douze fois une des trois meilleures positions sur l’échelle d’excellence dans les matières intellectuelles. Ici encore, ils sont suivis de près par les luthériens qui alignent sept fois l’une des trois meilleures places, alors que cela n’arrive pas une seule fois dans les autres catégories confessionnelles. Dans l’avant-dernière colonne du Tableau 3, on peut d’ailleurs lire l’exact ordre des rangs d’excellence conduits par les luthériens allemands et suivis à très peu de distance (en termes d’indices cumulés d’écarts aux notes moyennes des matières intellectuelles) des trois catégories de juifs. De fait, dans chacun des agrégats confessionnels (à l’exception des juifs) les Allemands réussissent un peu mieux que les Hongrois ou les autres groupes ethniques, les écarts entre Allemands et autres se creusant de façon particulièrement nette en Lettres allemandes elles-mêmes. Cela confirme bien, d’ailleurs, si besoin en était encore, que le statut d’Allemand nominatif (ou ‘d’origine’) allait bien de pair avec la connaissance plus générale de la langue allemande. Pour le reste, les chrétiens occidentaux (catholiques romains et calvinistes) occupent des positions moyennes sur l’échelle d’excellence, alors que les chrétiens gréco-orientaux restent systématiquement en bas de l’échelle.

Pour ce qui est des performances en éducation physique, on note que la configuration des notes moyennes est à peu de choses près l’inverse de la distribution des notes moyennes dans les matières intellectuelles. Ici les juifs prennent les dernières positions alors que les chrétiens occidentaux (surtout les catholiques, les calvinistes hongrois et les unitariens) présentent les meilleurs scores. Il est vrai que les membres d’« autres religion et ethnies » (Roumains, Serbes et Ukrainiens),  en bas de l’échelle d’excellence dans les matières intellectuelles, sont aussi légèrement en dessus de la moyenne générale, en position médiocre dans cette échelle d’excellence. Manifestement les investissements scolaires de type intellectuel se font pour ce public aux dépens d’investissements sportifs. Même si l’inverse n’est toutefois pas toujours vrai, il y a une corrélation négative manifeste entre performances intellectuelles et performances sportives dans le cadre du système scolaire étudié.

La hiérarchie des performances dans les matières intellectuelles épouse ainsi la hiérarchie des fréquentations scolaires au niveau du bac. On pourrait en déduire immédiatement que, à ce niveau, l’excellence dans les études n’a pas dû dépendre (au moins de façon décisive ou directe) d’une simple sur-sélection des sujets intellectuellement les plus forts, puisque l’agrégat juif, globalement de loin le plus performant, était également celui qui envoyait les contingents relativement les plus larges dans les écoles secondaires classiques (menant aux études supérieures). La réalité a pu être plus complexe toutefois. Il se peut très bien que les bacheliers juifs, quoique beaucoup plus nombreux que les chrétiens, relativement à leur importance démographique, aient été issus d’une sélection plus sévère dans un ensemble d’élèves débutants. Pour les chrétiens, en effet, la raison essentielle de leur maintien au gymnasium n’était rien d’autre que décrocher le bac, même avec des résultats médiocres, parce qu’ils n’avaient pas d’autres alternatives scolaires, seul le bac faisant fonction de titre social d’accès aux classes moyennes « seigneuriales » qu’ils recherchaient. Les élèves juifs devaient, en revanche, tout au long de leur scolarité démontrer leur bonne adaptation aux exigences du gymnasium ou de l’« école réelle », faute de quoi ils étaient exposés à la relégation aux cursus parallèles de l’« école bourgeoise » (Bürgerschule) post-primaire et de l’école commerciale supérieure, ou encore – avec ou sans titre de scolarité secondaire - au statut de cadre privé, de boutiquier ou d’artisan-commerçant. De fait, dans toutes ces catégories d’élèves ou de personnes actives on constate une surreprésentation des juifs parmi les étudiants des classes terminales des écoles secondaires[21].

Ces réussites scolaires pouvaient également prendre appui sur un ensemble de dispositions propres - même si, là encore, de façon très diverse - aux milieux juifs, germaniques ou autres concernés, provenant de leur habitus de classe pré-moderne. Il s’agit de dispositions ‘proto-bourgeoises’ développées dans des villes féodales au sein du patriciat ou de la petite bourgeoisie corporatiste ou encore dans les communautés juives le plus souvent exclues des villes et de la plupart des marchés d’activités habituelles (agriculture, artisanat corporatiste, commerce sédentaire, fonction publique). Le fait d’être cantonné au commerce ambulant, aux métiers d’argent (change, prêt à gages, prêt usuraire), aux petits transports, à la production et à la vente d’alcool, au fermage de privilèges nobiliaires, etc ; tous métiers sur marchés libres exposés aux risques, sans parler des menaces d’expulsion en tant que juifs à la résidence seulement ‘tolérée’ – tout cela a dû prédisposer au contrôle de soi, à la discipline de vie et de travail, plus généralement aux comportements rationnels quant aux visées de l’action. Lorsqu’on cite la fiabilité économique, la capacité du calcul des gains et des pertes escomptables, l’absence ou la faiblesse de l’alcoolisme, l’ethos d’assiduité au travail, toutes formes de discipline corporelle pour s’adapter aux conditions changeants de cohabitation en milieu hostile et à l’évolution des rapports de forces féodales (Église, villes, aristocratie, petite noblesse) tenant les juifs dans un état de soumission, ou aux mutations des régimes de pouvoir étatique, notamment la législation régissant le statut des ‘étrangers radicaux’ qu’étaient les juifs, on décrit la mentalité proto-bourgeoise qui, dans les sociétés ouvertes surgissant après la chute du féodalisme, a fait naître les différents avatars de la modernité. Le sens et le souci de productivisme intellectuel, source des hautes performances scolaires, en fut une partie intégrante.

            Enfin, il ne faut pas négliger les legs proprement intellectuels – promoteurs par excellence de la réussite scolaire - objectivement échus aux élèves juifs ou luthériens des écoles secondaires du 19e siècle. Pour les juifs, la chose est simple et entendue, comme en témoigne amplement toute leur histoire sociale, surtout dans le monde ashkénaze. Pratiquant une religion ‘quasi-intellectuelle’ au sens où l’activité religieuse est liée pour les hommes à la lecture, à l’étude individuelle et, occasionnellement, à la discussion des textes canoniques hébreux, les communautés juives pré-modernes ont généralisé le bi- ou multilinguisme de leurs adeptes et développé un vaste système scolaire. Par-là, se sont imposés non seulement l’alphabétisation en principe obligatoire des hommes, mais encore un véritable culte du travail intellectuel comme valeur suprême dans l’existence masculine. Ce dispositif archaïque a pu se traduire chez bien des descendants, même sécularisés, dans la recherche de la réussite à l’école publique.

Le parcours historique des luthériens était certes tout autre. Pourtant leurs congrégations n’ont pas manqué d’exercer un impact semblable sur l’alphabétisation des fidèles et le développement chez eux des dispositions intellectualistes. Dans les communautés luthériennes traditionnelles d’une certaine taille on crée des écoles primaires où l’assiduité est rendue obligatoire pour les membres des deux sexes afin de leur assurer (et imposer) l’accès individuel à l’écriture sainte. Pour la formation des maîtres et pour l’instruction des oligarchies communautaires on construit un réseau étendu d’écoles supérieures. En Hongrie par exemple vers 1895 les 8 % de luthériens dans la population géraient pas moins de 14 % des gymnasiums (soit 15 sur 106) offrant le bac.[22] De fait, les Saxons luthériens de Transylvanie ont représenté la seule minorité allogène de l’État nation qui pendant toute la période dualiste disposait de suffisamment de gymnasiums pour répondre à la demande de scolarisation secondaire de sa propre clientèle. La sur-scolarisation relative des luthériens, dûment documentée dans la littérature sur les plans quantitatif et qualitatif, a donc été fortement impulsée par les institutions communautaires.

L’excellence scolaire des élèves juifs ne devait donc pas grand-chose à leur niveau de sélection statistique, mais plutôt à des motivations et des ressources de compétition d’autre nature sur lesquelles l’analyse des variables socio-culturelles des performances en question devrait apporter des éclairages supplémentaires.

 

Tableau 2. Notes moyennes des élèves (garçons) et effectifs des classes terminales dans les principales matières sélectionnées selon l’ethnicité et la religion : gymnasiums et ‘écoles réelles’ (Hongrie, 1850-1918).[23]

 

Religion + ethnicité (caractère du

patronyme)

 

HON-GROIS LANGUE
ET

LETTRES

ALLE-

MAND

LATIN

HISTO-

IRE

MATHS

PHY-SIQUE

EDUCA-ION

PHY-SIQUE

 

Cath. Romain

+ Hongrois

Moyenne

2,20

2,39

2,53

2,17

2,52

2,35

1,67

 

N

(24 003)

(24 023)

(22 512)

(22 860)

(27 743)

(23 783)

(13 483)

 

Cath. Romain

+ Allemand

Moyenne

2,24

2,13

2,48

2,17

2,47

2,32

1,69

 

N

(16 044)

(15 945)

(14 027)

(15 448)

(18 314)

(15 943)

(9 418)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cath. Romain

+ Slave, autre

Moyenne

2,27

2,32

2,54

2,21

2,54

2,38

1,71

 

N

(17 522)

17 541

16 271

16 715

20 372

17 373

9 632

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calviniste

+ Hongrois

Moyenne

2,26

2,42

2,50

2,21

2,52

2,43

1,77

 

N

(16 974)

(17 145)

(16 661)

(15 973)

(17 540)

(16 837)

(10 440)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calviniste

+ Allemand

Moyenne

2,37

2,25

2,54

2,10

2,43

2,28

1,80

 

N

(1 384)

(1 390)

(1 324)

(1 345)

(1 420)

(1 374)

(890)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calviniste

+ Slave, autre

Moyenne

2,28

2,39

2,50

2,19

2,51

2,39

1,74

 

N

(2 518)

(2 561)

(2 492)

(2 348)

(2 640)

(2 501)

(1 555)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Luthérien

+ Hongrois

Moyenne

2,13

2,21

2,42

2,04

2,49

2,29

1,75

 

N

(3 343)

(3 335)

(3 083)

(3 227)

(3 031)

(3 256)

(2 041)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Luthérien

+ Allemand

Moyenne

2,17

1,91

2,37

2,06

2,40

2,20

1,79

 

N

(4 050)

(4 043)

(3 570)

(3 879)

(3 946)

(3 890)

(2 529)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Luthérien

+ Slovaque, autre

Moyenne

2,21

2,21

2,44

2,18

2,49

2,32

1,80

 

N

(3 635)

(3 632)

(3 366)

(3 515)

(3 453)

(3 521)

(2 162)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juif

+ Hongrois

Moyenne

2,09

2,07

2,37

2,07

2,35

2,28

1,97

 

N

(6 242)

(6 242)

(5 005)

(6 191)

(7 258)

(6 170)

(4 207)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juif

+ Allemand

Moyenne

2,19

1,97

2,41

2,10

2,39

2,30

2,07

 

N

(17 011)

(17 075)

(14 136)

(16 578)

(19 722)

(16 865)

(11 025)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Juif

+ autre

Moyenne

2,13

1,95

2,37

2,08

2,37

2,31

2,06

 

N

(2 527)

(2 564)

(2 168)

(2 481)

(2 952)

(2 536)

(1 619)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre religion+

Autre (Unitarien)

Moyenne

2,36

2,50

2,60

2,26

2,65

2,50

1,69

 

N

(2 553)

(2 562)

(2 480)

(2 533)

(2 877)

(2 475)

(1 700)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre religion

+ Allemand

Moyenne

2,36

2,42

2,53

2,30

2,60

2,47

1,81

 

N

(483)

(497)

(476)

(493)

(588)

(495)

(349)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Autre religion

+ autre (Greco-

Catholique, Orthodoxe)

 

Moyenne

2,39

2,38

2,57

2,29

2,62

2,50

1,82

 

N

(7 298)

(8 014)

(7 554)

(7 773)

(9 041)

(7 853)

(4 695)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ensemble

Moyenne

2,23

2,25

2,49

2,17

2,49

2,36

1,80

 

N

(125 587)

(126 569)

(115 125)

(121 359)

(140 897)

(124 872)

(75 745)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tableau 3. Différences des notes moyennes des élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et ‘écoles réelles’ selon la religion et l’ethnicité par rapport à la moyenne générale des notes conférées dans chacune des principales matières (Hongrie, 1851-1918)[24]

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Religion + ethnicité (caractère du

patronyme)

 

HON-GROIS LANGUE
ET

LETTRES

ALLE-

MAND

LATIN

HISTO-

IRE

MATHS

PHY-SIQUE

Cumul

des

écarts

aux

notes

moyen

nes

EDUCA-

TION

PHY-

SIQUE

Cath. Romain + Hongrois

 

         -0,03

           (6)

0,14

(9)

0,04

(7)

0,00

(5)

0,03

(9)

-0,01

(7)

0,17

 (9)

-0,11

(1)

 

Cath. Romain + Allemand

 

 

0,01

(8)

 

-0,11

(5)

0,00

(5)

0,01

(6)

-0,02

(6)

-0,03

(6)

 

0,06

(8)

-0,11

(1)

Cath. Romain + autre (Slovaque)

 

 

0,04

(10)

 

0,08

(8)

0,05

(8)

0,04

(8)

0,05

(10)

0,02

 (8)

 

0,28

(10)

-0,09

(2)

 

 

Calviniste + Hongrois

 

 

0,03

(9)

 

0,18

(12)

 

0,01

(6)

 

0,04

(8)

 

0,03

(9)

 

0,07

(10)

 

0,36 (12)

 

-0,03

(5)

 

Calviniste + Allemand

 

 

0,14

(13)

 

0,00

(7)

 

0,05

(8)

 

-0,07

(4)

 

-0,06

(5)

 

-0,07

(2)

 

 

-0,01

(7)

 

0,00

(7)

Calviniste + autre

 

 

0,05

(11)

 

0,15

(11)

0,01

(6)

0,02

(7)

0,02

(6)

0,04

(9)

 

0,29 (11)

-0,06

(3)

Luthérien + Hongrois

 

 

-0,09

(3)

-0,03

(6)

-0,07

(3)

-0,12

(1)

0,00

(7)

-0,06

(3)

-0,37

 (5)

-0,05

(4)

 

Luthérien + Allemand

 

 

-0,06

(4)

 

 

-0,34

(1)

 

-0,12

(1)

 

-0,11

(2)

 

-0,09

(4)

 

-0,15

(1)

 

-0,85

(1)

-0,01

(6)

Luthérien + autre (Slovaque)

 

-0,02

(7)

-0,03

(6)

-0,05

(4)

0,02

(7)

0,01

(8)

-0,04

(5)

     -0,15             (6)

0,00

(7)

 

 

Juif + Hongrois

 

-0,14

(1)

-0,18

(4)

-0,12

(1)

-0,09

(3)

-0,14

(1)

-0,07

(2)

 

     -0,74

       (3)

 

              0,17  

             (10)

 

 

Juif + Allemand

 

-0,05

(5)

-0,28

(3)

-0,08

(2)

-0,07

(4)

-0,10

(3)

-0,05

(4)

-0,63

(4)

0,27

(12)

 

 

Juif + autre

 

 

 

-0,10

(2)

-0,29

(2)

-0,12

(1)

-0,09

(3)

-0,12

(2)

-0,04

(5)

 

-0,76

(2)

0,26

(11)

Autre rel. + Hongrois

(Unitarien)

 

0,13

(12)

0,26

(14)

0,11

(9)

0,09

(9)

0,16

(13)

0,14

(12)

0,89 (15)

-0,11

(1)

 

Autre rel. + Allemand

 

 

0,13

(12)

 

0,18

(13)

 

0,04

(7)

 

0,13

(10)

 

0,11

(11)

 

0,11

(11)

 

0,60 (13)

 

0,01

(8)

 

Autre rel + autre

(Roumain, Serbe, Ukrainien)

 

0,16

(14)

0,14

(10)

0,08

(8)

0,13

(10)

0,13

(12)

0,14

(12)

 

0,78 (14)

 

0,02

(9)

 

Ensemble

 

0 ,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

 

0,00

 

 

3. L’effet des variables complémentaires des performances scolaires

 

Pour tenter une interprétation globale de nos observations – qu’on ne saurait certainement épuiser dans les limites de cet article – on fera ici intervenir empiriquement les principales variables socio-historiques présumées des performances scolaires afin d’en mesurer l’impact et de voir si et dans quelles mesures les co-variations constatées entre ethnicité, religion et performances se maintiennent sous leur effet.

 

a. La variable historique et religieuse dans le temps

La variable du temps est organisée ici, dans un souci d’équilibre numérique approximatif, en trois périodes quelque peu inégales (selon les dates des années du bac).

Dans la première période, qui dure près de trois décennies, on observer une double dichotomie. Les luthériens prennent de loin les meilleures positions, à distance respectable des autres. Toutefois, la réussite de toutes les catégories tant soit peu allogènes – sauf la dernière, celle des chrétiens gréco-orientaux – dépasse positivement la moyenne cumulée des notes (c’est à dire, empiriquement, y restent inférieures, dans une gamme où, faut-il le rappeler, la meilleure note était 1). Les grands perdants à cette époque dans la course à l’excellence étaient donc les allogènes chrétiens orientaux et les masses d’élèves de souche hongroise (surtout catholiques et calvinistes). Les juifs prennent déjà rang parmi les bons performants, mais pas parmi les meilleurs. Cette situation va changer assez radicalement dans les deux périodes suivantes (qui durent chacune deux décennies). Tout d’abord les écarts entre niveaux de performances - tels qu’ils se dégagent des écarts entre moyennes cumulées des notes – vont se réduire. De façon plus significative, les constats fournis dans les Tableaux 2 et 3 se rétablissent ici. Les juifs prennent les trois premières positions sur l’échelle d’excellence, suivis par les luthériens allemands et, à distance, par d’autres catégories d’Allemands. Les catégories hongroises occupent des positions moyennes, alors que les gréco-orientaux demeurent toujours en queue de file sur l’échelle d’excellence. La configuration finale (et globale pour tout le corps estudiantin observé) des niveaux de performance s’établit donc seulement dans la seconde partie de l’époque dualiste. Ce basculement des niveaux de performance à la fin du long 19e siècle est lié essentiellement à l’état de préparation socioculturelle des groupes en compétition virtuelle. Les juifs, relativement nouveaux sur le marché scolaire public au début de la période étudiée, provenaient de milieux sociaux linguistiquement, confessionnellement et culturellement allogènes, affrontés aux difficultés et servitudes de l’acculturation, ce qui peut expliquer leurs performances encore passablement moyennes. Les promotions ultérieures d’élèves juifs auront surmonté cette épreuve historique et avancé leur assimilation (dans tous les sens attribués à ce terme), de sorte que leurs ressources et motivations particulières puissent développer leurs effets promotionnels en vue d’une réussite les plaçant au sommet de l’échelle des performances scolaires.

 

Table 4. Cumul des différences (avec indicateurs des rangs de réussite) entre notes moyennes des élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la religion et les moyennes générales dans l’ensemble des principales matières intellectuelles enseignées pendant trois périodes successives de l’époque dualiste (Hongrie, 1850-1918)

 

 

 

1851-1879

1851-1879

1880-1899

1880-1899

1900-1918

1901-1918

RELIGION

Nature

ethnique

des pat-

ronymes

 

cumul

des

diffé-rences

 

Rang d’ex-

cel-

len-

ce

Cumul

des

diffé-rences

 

rang d’ex-

cel-

len-

ce

cumul

des

diffé-rences

 

rang d’ex-

cel-

len-

ce

 

R. Cath.

Hongrois

0,45

12

0,11

7

0,11

7

 

Allemand

- 0,14

9

- 0,20

5

- 0,07

6

 

Autre

0,68

13

0,24

8

0,16

8

Calviniste

Hongrois

0,43

11

0,76

13

0,16

8

 

Allemand

- 1,43*

4

0,41

11

- 0,09

5

 

Autre

- 0,75

7

0,79

14

0,32

10

Luthérien

Hongrois

- 2,39

2

0,06

6

0,23

9

 

Allemand

- 2,64

1

- 0,59

4

- 0,40

4

 

Autre

- 2,05

3

0,36

10

0,42

11

Juif

Hongrois

- 0,68

8

- 1,09

1

- 0,96

1

 

Allemand

- 0,92

6

- 0,76 

3

- 0,44

3

 

Autre

- 1,31

5

- 0,77

2

- 0,67

2

Autre

Hongrois

1,78

15

0,67

12

0,68

13

 

Allemand

- 0,13*

10*

0,93*

15*

0,63

12

 

Autre

0,95

14

0,35

9

1,00

14

 

* effectifs trop réduits pour que l’indice soit significatif

 

 

 

b. La variable socioprofessionnelle

Le statut socioprofessionnel du père ou des parents est communément regardé en sociologie de l’éducation comme la variable essentielle qui détermine les chances d’accès aux échelons supérieurs du système scolaire et les probabilités de réussite. On pourrait tirer bien des indicateurs de nos données combinant l’indice de classe sociale d’origine avec les catégories ethnico-religieuses – tels les notes moyennes ou les écarts aux notes moyennes dans les différentes matières d’enseignement -, mais leur présentation historiquement circonstanciée dépasserait l’espace assigné à ce travail. Contentons-nous d’un seul ensemble de résultats comportant les écarts cumulés aux notes moyennes pour les seules matières intellectuelles qu’offre le tableau 5. Il s’agit en réalité d’un tableau simplifié qui, pour ne pas alourdir et compliquer l’interprétation, non seulement recourt à des catégories socioprofessionnelles grossièrement synthétiques, mais encore fait l’impasse sur les effectifs extrêmement différents de ces catégories.

Parmi les principaux constats qu’on peut tirer du Tableau 5, retenons d’abord l’homogénéité ou la proximité décroissante des écarts aux moyennes lorsque l’on passe des catégories inférieures, supposées moins dotées de capitaux culturels (paysans, ouvriers, petite bourgeoisie), aux classes moyennes et supérieures. La performance des élèves des classes les plus modestes est beaucoup plus resserrée autour de la moyenne, quelle que soit la catégorie ethnico-religieuse, que chez les élèves originaires des autres classes, surtout des catégories supposant une formation supérieure. Les notes cumulées (non pondérées) des catégories occupant les cinq premiers rangs de réussite s’écartent de la moyenne de 2,74 chez les fils de paysans et ouvriers, de 2,06 chez les fils de petits bourgeois, mais de 4,94 chez les descendants des cadres et fonctionnaires, de 7,54 chez les fils des professions cléricales et enseignantes, 5,79 chez les fils des professions libérales et de 4,15 chez les fils de la bourgeoisie. En d’autres termes la religion et l’ethnicité jouent davantage le rôle de facteurs d’excellence dans les classes moyennes et supérieures que dans le public scolaire issu des classes défavorisées.

 

Tableau 5. Cumul des différences (avec indicateurs des rangs de réussite) entre notes moyennes des élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la religion et les moyennes générales dans les six principales matières intellectuelles selon la catégorie socio-professionnelle du père (Hongrie, 1851-1918)

 

 religion-ethnicité (caractère ethnique des patronymes)

Ouvriers,

paysans,

petits pro-

priétaires

 Artisans,

commer-

çants, restau-rateurs

Cadres privés et

fonction-

naires

1 cath. rom. + hongrois

-0,07 (8)

0,12 (6)

0,20 (11)

2 cath. rom. + allemand

-0,51 (2)

0,13 (7)

0,07 (10)

3 cath. rom. + autre

0,09 (9)

0,54 (12)

0,26 (12)

4 calviniste-hongrois

0,22 (10)

0,36 (9)

0,53 (14)

5 calviniste-allemand

-0,38 (5)

1,09 (14)

0,54 (15)

6 calviniste-autre

0,65 (12)

-0,22 (5)

-0,01 (8)

7 luthérien-hongrois

-0,31 (7)

0,63 (13)

-0,41 (6)

8 luthérien-allemand

-0,99 (1)

-0,74 (1)

-0,95 (3)

9 luthérien-autre

0,57 (11)

0,38 (10)

-0,00 (9)

10 juif-hongrois

-0,44 (3)

-0,28 (4)

-1,34 (1)

11 juif-allemand

-0,33 (6)

-0,31 (3)

-0,88 (4)

12 juif-autre

-0,42 (4)

-0,51 (2)

-1,19 (2)

13 autre relig. + hongrois.

1,06 (14)

0,23 (8)

0,47 (13)

14 autre relig. + allemand

2,14 (15)

0,43 (11)

-0,61 (5)

15 autre relig. + autre ethn.

0,82 (13)

1,66 (15)

-0,13 (7)

 

religion-ethnicité (caractère ethnique des patronymes)

Pasteurs, prêtres, instituteurs,

professeurs

Professions

libérales et

intellectu-

elles

Bourgeoisie

d’entreprise, propriétaires,

rentiers

Total

1 cath. rom. + hongrois

-0,22 (8)

0,79 (12)

0,40 (11)

0,24 (9)

2 cath. rom. + allemand

-0,31 (7)

0,33 (10)

-0,05 (8)

-0,00 (6)

3 cath. rom. + autre

0,17 (11)

0,89 (13)

0,67 (12)

0,43 (12)

4 calviniste-hongrois

0,23 (12)

0,27 (9)

0,17 (9)

0,33 (10)

5 calviniste-allemand

-0,35 (6)

0,39 (11)

-0,58 (5)

0,14 (8)

6 calviniste-autre

0,12 (10)

1,32 (14)

0,37 (10)

0,33 (11)

7 luthérien-hongrois

-0,71 (5)

-0,80 (5)

-0,95 (2)

-0,42 (5)

8 luthérien-allemand

-1,12 (4)

-0,28 (6)

-0,60 (4)

-0,85 (2)

9 luthérien-autre

-0,11 (9)

-0,08 (8)

-0,91 (3)

0,01 (7)

10 juif-hongrois

-2,08 (2)

-1,24 (3)

-0,19 (7)

-0,85 (3)

11 juif-allemand

-1,37 (3)

-1,31 (1)

-0,54 (6)

-0,67 (4)

12 juif-autre

-2,26 (1)

-1,28 (2)

-1,11 (1)

-0,96 (1)

13 autre relig. + hongrois.

1,59 (14)

-1,16 (4)

0,78 (13)

0,96 (14)

14 autre relig. + allemand

1,04 (13)

-0,27 (7)

0,91 (15)

0,69 (13)

15 autre relig. + autre ethn.

1,73 (15)

1,64 (15)

0,88 (14)

1,03 (15)

 

Pourtant, la hiérarchie générale de la réussite observée jusqu’ici n’est guère bouleversée à l’intérieur des agrégats d’origines socioprofessionnelles différentes. Certes dans la catégorie des fils d’ouvriers et de paysans (où il y a très peu de juifs) les deux meilleures réussites appartiennent aux Allemands luthériens et catholiques, suivis seulement par les divers agrégats juifs. Chez les élèves sortis de la petite bourgeoisie ce sont également les luthériens germaniques qui président aux rangs d’excellence, mais ils sont talonnés de près par les agrégats juifs. Ces derniers prennent toutefois les tout premiers rangs parmi les élèves des trois catégories de classes moyennes, alors que chez les fils de la bourgeoisie les juifs partagent ces meilleurs scores avec les luthériens, voire avec les calvinistes germaniques (catégorie aux effectifs très faibles). Force est de constater que la dynamique de la réussite se déploie à peu de choses près de la même manière partout à l’avantage des juifs, des luthériens et des agrégats germaniques, quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle d’origine des élèves en question.

Il s’agit ici d’un résultat à certains égards absolument décisif de notre travail, puisqu’il confirme la primauté des déterminismes attachés à la religion et à l’ethnicité aux dépens des facteurs de l’origine de classe dans la promotion intellectuelle des futures élites cultivées à l’époque dualiste. On peut le regarder comme une avancée scientifique intéressante, dans la mesure où jusqu’ici les rares études socio-historiques disponibles sur la scolarisation n’ont, à ma connaissance, jamais imputé à l’ethnicité et à la religion une fonction plus importante que l’origine de classe, parmi les conditions de la réussite scolaire. Il est vrai que les sources de données historiques ont jusqu’à maintenant autant manqué que les essais d’interprétation des effets des deux types de facteurs[25].

 

c. La variable de l’origine géographique et régionale

Évoquons rapidement le thème à bien des égards intriguant des inégalités de performances liées aux attaches régionales. Dans nos bases de données, nous en avons trois indices, le lieu de naissance, la ville de la scolarité secondaire et la résidence familiale. Faute de pouvoir entrer ici dans la problématique complexe des identités et rapports de forces culturels, de la stratification socioprofessionnelle et éducative, de la composition ethnique ou religieuse et du degré d’urbanisation – tous facteurs susceptibles de contribuer à l’interprétation des résultats régionaux -, je rappelle ici seulement trois types d’observations de portée générale tirées de notre enquête[26].

Premièrement, il est clair que les régions les plus urbanisées – comme l’agglomération de la capitale et le centre (entre Danube et Tisza[27]) – présentent les taux de scolarisation les plus élevés de toutes les grandes unités régionales distinguées. Par-là, notre enquête confirme les statistiques contemporaines afférentes tout en démontrant son caractère parfaitement représentatif (en dépit d’un manque d’information de l’ordre de 30-35 % pour l’une ou l’autre des trois variables mobilisées dans nos données).

Plus intéressant est le fait que la hiérarchie des mesures d’excellence suit de près dans toutes les unités régionales la hiérarchie globalement établie, sans y être toutefois entièrement identique. Les élèves juifs présentent dans toutes les régions des notes moyennes dépassant nettement les moyennes régionales. Chez les trois catégories de luthériens cela arrive dans 23 cas sur 30, chez les calvinistes dans 10 cas sur 30 et chez les catholiques romains dans 9 cas sur 30 seulement. Les performances des autres catégories d’élèves restent toujours inférieures aux moyennes. En prenant appui sur les rangs de performance des futurs bacheliers par grandes régions de naissance, les élèves juifs prennent 25 fois un des 5 premiers rangs, les luthériens 15 fois, les calvinistes 3 fois, les catholiques romains 2 fois. Si l’on ne considère que les deux premières positions, elles sont occupées par des élèves juifs 9 fois, par des luthériens 7 fois et par des calvinistes 2 fois.

Enfin, il importe de noter des écarts à la moyenne très variables selon les régions. Ces différences sont notamment partout supérieures à l’écart observé pour Budapest. Pour la capitale par exemple, les élèves juifs arrivent en premier rang dans l’échelle d’excellence avec une note moyenne de -0,59 seulement, alors que les élèves des cultes gréco-orientaux ont un score de 0,90, soit une différence en termes d’écarts entre notes moyennes extrêmes de 1,49. Dans la région du nord de la Tisza, la meilleure moyenne revenant aux luthériens allemands dépasse la moyenne régionale par -2,04, tandis que la catégorie la moins performante des gréco-orientaux germaniques (aux effectifs il est vrai infimes) présente une note moyenne de 3,38. La différence entre les deux s’établit donc à 5,42. Il apparaît ainsi que les inégalités de performances étaient, à l’époque dualiste, beaucoup plus faibles dans la capitale, comparée aux provinces. En d’autres termes, si juifs et luthériens sont toujours parmi les meilleurs élèves partout, leur avance s’amenuise dans les milieux les plus urbanisés, lesquels concentrent les élites et les couches montantes de toute la société nationale. Lorsqu’on attribue par hypothèse de travail explicative, comme ci-dessous dans nos conclusions, des vertus situationnelles et des compétences de mobilité éducative particulières aux minorités ethnico-religieuses les plus performantes sur le plan de la réussite scolaire, force est de reconnaître la signification de pareilles variations régionales et résidentielles. L’effet distinctif de l’ethnicité et de la religion semble davantage s’imposer dans les milieux moins urbanisés, alors qu’il est moins marqué dans la capitale et dans les grandes villes, qui rassemblent les groupes les plus disposés à la modernité et à la mobilité éducative de tous les agrégats ethnico-religieux.

 

*

 

La place manque ici pour esquisser une théorie tant soit peu compréhensive des inégalités de performances scolaires. On a pu en présenter certains éclairages, dont il y a lieu de penser qu’ils sont essentiels pour conduire à des pistes d’interprétation globalement applicables. Seulement, je tenterai d’indiquer les principales de ces pistes dont bien des aspects ont été traités dans mes précédentes publications relatives notamment à la sur-scolarisation des juifs et des luthériens à l’époque présocialiste dans le Bassin des Carpates.[28] On peut en résumer l’essentiel sous les rubriques suivantes, fortement interdépendantes (mais dont on ne saurait dessiner ici les généalogies et entrecroisements historiques par trop complexes) : mobilité socioculturelle, assimilation nationale et compensation des handicaps sociaux, structure socioprofessionnelle de départ, capitaux culturels reçus en héritage historique.

Le parallélisme mis en lumière entre la sur-scolarisation des juifs et (de façon plus modeste) des agrégats luthériens et germaniques (y compris d’autres groupes aux attaches allemandes, surtout catholiques) d’une part et les performances scolaires distinctives des mêmes groupes d’autre part nourrit ainsi l’idée que, dans cette société profondément multiculturelle, l’effort de mobilité éducative à l’époque postféodale a été surtout caractéristique de quelques minorités socioculturelles disponibles à la mobilité sur d’autres plans aussi. Cette mobilité devait s’entendre dans plusieurs sens – urbanisation, mobilité professionnelle vers les métiers intellectuels, intégration dans les nouvelles classes moyennes (voire dans les anciennes élites via anoblissement), nuptialité mixte, sécularisation, changement de langue d’usage et multilinguisme, transformations identitaires au dépens de l’identité ethnique ou religieuse héritée, etc., tout cela pouvant aller de pair avec la mobilité éducative intergénérationnelle. L’un ou l’autre élément de ces transformations pouvait certes manquer dans les agrégats distingués par leur mobilité éducative. Chez les saxons luthériens de Transylvanie, par exemple, le culte de l’excellence scolaire combiné au passage fréquent par une université allemande n’a point été associé à l’abandon de l’identité germanique ou au souci d’assimilation nationale à la hongroise, ni d’ailleurs avec une forte mobilité géographique ou avec une sécularisation poussée. On en retrouve trace pourtant chez leurs coreligionnaires du Nord-Est ou du Nord-Ouest (les Zipsers) également Saxons d’origine. Dans la paysannerie catholique germanique dite souabe de l’ouest du pays ou du sud de la Grande Plaine, les règles d’héritage traditionnelles accordaient la succession des propriétés terriennes aux fils ainés, obligeant les autres fils à chercher leurs moyens de subsistance en dehors de l’agriculture familiale, d’où une filière de sortie par des études. Dans des conditions historiques très différentes, la plupart des motifs et formes de disposition à la mobilité peuvent être identifiées dans les fractions d’origine ‘occidentale’ des juifs de Hongrie, qui s’étaient installés dans le pays le plus souvent à partir de la Bohème ou de l’Autriche depuis le 17e siècle finissant.

Dans tout effort collectif ou individuel de mobilité il y a un élément stratégique. Celui-ci vise l’amélioration de sa situation sociale, l’acquisition d’une identité conforme aux valeurs qu’on adopte (au 19e siècle notamment celles de la modernité et du nationalisme), ainsi que – pour ceux qui étaient concernés (tels les juifs) – la compensation d’une relégation sociale subie. Il s’agit toujours d’une sorte de lutte pour le reclassement dans la société donnée. À l’époque postféodale, pendant le processus de construction de l’État nation hongrois, toutes les minorités allogènes du bassin des Carpates devaient affronter le défi de l’assimilation et de l’intégration dans l’ethnie titulaire magyare sous la pression assimilatrice de son élite nobiliaire. La majorité démographique des allogènes (qu’ils soient Roumains, Serbes, Ukrainiens, voire Slovaques ou Saxons de Transylvanie) ont répondu négativement – certes dans des conditions sociopolitiques et avec des motivations historiques fort différentes - à l’offre de ce que j’ai appelé ailleurs en manière de métaphore ‘le contrat social d’assimilation’ à la hongroise. D’autres, en revanche, tout d’abord les juifs de type ‘occidental’, la petite communauté arménienne, plusieurs agrégats d’Allemands catholiques et luthériens ainsi que d’autres éléments minoritaires, ont vite fait de souscrire (surtout à partir du Vormärz) à ce contrat tout virtuel ou symbolique, s’inscrivant dans le procès de ‘nationalisation’ de cette société exceptionnellement composite d’un point de vue ethnique et confessionnel. Ces agrégats ‘assimilationnistes’ avaient des raisons différentes de prendre le train de la Magyarisation linguistique, culturelle et politique. Toutefois, aucun d’entre eux n’en avait autant que les juifs. Ces derniers étaient non seulement dépourvus de droits civiques jusqu’à l’émancipation (1867) - même après l’abolition des privilèges féodaux (avril 1848) -, et exposés à la discrimination voire à la stigmatisation sociale (d’origine religieuse au départ), mais ils continuaient à être désavantagés sinon complètement exclus des carrières publiques même après l’émancipation formelle, voire encore à la suite de la ‘réception’ du culte juif parmi les Églises protégées par l’État (1895). Or les trajets scolaires longs et ‘nobles’, menant aux études supérieures à travers le bac, constituaient la principale voie d’assimilation dans ce procès historique de la construction nationale. La réussite scolaire pouvait à la fois illustrer le succès de l’effort d’acculturation – selon les normes des classes moyennes ‘seigneuriales’ (réunissant les éléments issus de la gentry avec les ‘nouvelles couches’ instruites) -, préparer aux carrières dans les professions intellectuelles et procurer aux éléments socialement marginaux (tels les juifs) des alliés dans l’élite titulaire socialement et politiquement dominante. Cet effort de compensation des handicaps sociaux est à coup sûr l’un des éléments essentiels d’explication de la réussite scolaire distinctive des outsiders allogènes. A l’époque postféodale, marquée par des mouvements et mesures d’émancipation, par la Gründerzeit de l’industrialisation, par la naissance des grandes métropoles modernes et du nouveau mode de vie urbaine, pareille mobilité éducative s’inscrivait dans un rapport positif à l’avenir et dans les projets et espoirs ‘prométhéens’ d’ascension collective.

 

SOURCES

Annuaire statistique de la Hongrie, 1871

Annuaire statistique de la Hongrie, 1896

Annuaire statistique de la Hongrie, 1911

Annuaire statistique de la Hongrie, 1914

 

BIBLIOGRAPHIE

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[1] Données du recensement de 1910. Cf. Annuaire statistique de la Hongrie 1914, p.14.

[2] Dans les trois premiers gouvernement formés aprés le Compromis entre 1867 et 1872 on trouve 34 % d’aristocrates titrés. Dans les trois derniers gouvernements en 1913-1917 il y en avait 45 %. Cf. J. Bölöny, 1987, p. 82-84 et 90-92. Si l’on prend en compte les seuls ministères clefs entre 1875 et 1918 (premier ministre, intérieur, commerce et finances), il n’y avait que 23 % de roturiers pour en détenir la direction. Cf. A. C. Janos, 1982, p. 111.

[3] Le projet (à l’acronyme d’ELITES08) a bénéficié d’un soutien du Conseil de la Recherche Européen de Bruxelles sous forme d’un Advanced Team Leadership Grant pour les années 2008-2012 avec l’intitulé : Culturally composite elites, regime changes and social crises in multi-ethnic and multi-confessional Eastern Europe. (The Carpatian Basin and the Baltics in comparison, cc. 1900-1950).

[4] Les saisies informatiques des données prosopographiques ont largement dépassé un million de cas personnels, dont quelques 558 300 élèves de l’enseignement secondaire en Hongrie entre 1851 et 1948. La banque de données de la présente étude renferme des informations personnelles sur 205 400 élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et des ’écoles réelles’ entre 1851 et 1919 (date des inscriptions). Les effectifs réels sur lesquels on a disposé d’informations pertinentes mises en valeur dans ce texte sont indiqués entre parenthèses dans les chiffres du tableau 1.

[5] Les variables ont trait, en amont, aux données d’état civil (date, lieu de naissance), aux indicateurs d’identité culturelle (religion, langue maternelle, nature ethnique du patronyme et du prénom, changements de culte ou de patronyme), au milieu familial (profession, niveau d’éducation, résidence du père ou des parents ou du tuteur), qui tiennent lieu de variables indépendantes. Les variables semi-indépendantes, relatives aux trajectoires scolaires, renseignent, jusqu’au bas, sur le lieu et le type de lycée (public ou confessionnel), l’obtention de bourses ou l’exemption de frais de scolarité, la date (et l’âge) du baccalauréat, le choix d’études supérieures ou de profession, les résultats chiffrés en classe terminale dans les diverses matières. Les variables sur les études supérieures (variables dépendantes) renseignent sur l’établissement(s) fréquenté(s), y compris les universités étrangères, les dates (et âges) d’entrée et de sortie, les spécialisations, la date (âge) d’obtention du diplôme ou d’abandon des études, la qualification des diplômes et leur nature (ex. Doctorat, diplôme professionnel, etc.). Concernant les itinéraires professionnels (données éparses qui restent à être élaborées ou complétées grâce au croisement de nos prosopographies catégorielles), les informations concernent les métiers occupés, les statuts professionnels successifs (ex. pour les juristes : avocat, fonctionnaire ou sans usage professionnel), les fonctions occupées dans associations professionnelles, les publications (livres ou articles professionnels, belles-lettres) et les médailles, prix ou distinctions officielles obtenus.

[6] Il s’agit d’États nations devenus indépendants à l’issue du démantèlement des régimes féodaux pendant le long 19e siècle et dont les élites instruites comportaient d’importants contingents (ex. un quart du total) provenant de minorités ethniques et/ou religieuses. En dehors de la Russie, en Europe occidentale seuls les Pays-Bas auraient partiellement (par sa divisions entre Calvinistes et Catholiques) répondu à ce critère. La Suisse aurait pu être pris pour un autre cas d’espèce s’il ne s’agissait pas d’une formation socio-politique fédérale décentralisée, structure sociétale opposée à celle des États nations.

[7] Cf. I. Mészàros, 1988, p .294-321.

[8] Annuaire statistique de la Hongrie, 1871, p. 480.

[9] Le bac des gymnasiums avec Latin donnait accès a tous les facultés, académies ou collèges postsecondaires. Le bac des ’écoles réelles’ permettait l’admission dans les filières technologiques et commerciales supérieures. Les ’écoles commerciales supérieures’ ne faisaient entrer que dans les établissements supérieurs de type commercial. Pour les bachelières, quelle qu’ait été la nature de leur titre, seules les facultés philosophiques et médicales étaient accessibles depuis 1895 jusqu’en 1945 avec – depuis leur fondation dans les années 1870-1880 - les acadéámies de formation artistique et (depuis l’entre-deux-guerres) quelques collèges supérieurs professionnels nouvellement créés (telle l’Ecole de pédagogie thérapeutique à Budapest ou l’Ecole normale pour professeurs ’d’écoles bourgeoises’ à Szeged).

[10] À titre d’exemple, dans les programmes de 1899, les matières scientifiques n’occupaient que moins d’un quart des 232 heures hebdomadaires de cours au total dans les huit classes des gymnasiums et 35 % des ’écoles réelles’. Cf. J. Mészáros, 1988, p. 103.

[11] A l’origine, même après l’expulsion des Jésuites et les réformes passablement anticléricales de l’empereur Joseph  II (qui a dans les années 1780 autoritairement aboli les ordres religieux ’contemplatifs’ n’assurant pas des services publics), l’enseignement secondaire restait confié aux soins des grandes églises chrétiennes au statut privilégié. L’État et (sauf exceptions, plus rarement) les municipalités ont commencé d’établir des gymnasiums dans les années 1860 seulement. Ils étaient toutefois les principaux maîtres d’oeuvre dans la création des réseaux d’’écoles bourgeoises’, d’’écoles réelles’, d’écoles supérieures commerciales et de lycées des filles. En 1910 sur l’ensemble des 246 écoles secondaires de statut divers on compte 91 gérés par l’État, 39 sous l’Église catholiques et 19 financés sur les fonds confisqués a la fin du 18e siècle des congrégations catholiques supprimées, 31 calvinistes, 25 luthériens, 11 municipaux, les quelques autres étant dispersés entre les autres Églises, les associations et des gstionnaires privés. Cf. Annuaire statistique de la Hongrie, 1911, p. 375-377.

[12] Elle a été esquissée dans le cadre de travaux préparatoires, menés sous ma direction. Voir en particulier les suivants, publications en langues occidentales seulement. C’est hélas en l’absence d’autres travaux de ce genre que je suis obligé de me limiter à mes propres études : Karady Victor 1996, Karady Victor 1987, Karady & S. Vari, 1987, Karady Victor 2000, Karady Victor 2008, Karady Victor 2009.

[13] Cf. Karady Victor 1984,  Karady Victor 1990,  Karady Victor 1989, Karady Victor 1997, Karady Victor 2012/A,

[14] Karady Victor 1993, Karady Victor 1993, Karady & P. Tibor Nagy (ed.), 2012.

[15] L’interprétation détaillée des résultats globaux dans les différentes matières d’enseignement (sur laquelle je ne reviendrai pas ici), a été tentée ailleurs. Cf. Karady Victor 2012, Karady Victor 2013.

[16] Ces problèmes ont été amplement traités dans notre livre avec I. Kozma, 2002. À l’époque dualiste on a pu estimer à un sur 18 le nombre de juifs ayant magyarisé leur patronyme contre un sur 127 catholiques allemands, un sur 190 catholiques slaves (Slovaques), un sur 335 luthériens slaves et un sur 426 luthériens allemans, pour ne citer que les agrégats qui ont été significativement touchés par le mouvement de magyarisation nominative. Cf. V. Karady et I. Kozma, 2002 p. 83.

[17] Voir surtout les travaux cités dans la note 15 ci-dessus.

[18] Source : K. Keleti, 1882. p. 23. Il faut compter 1 % de ‘divers’ s’ajoutant au total calculé ici.

[19] Cf. I. Mészáros, 1988, p. 103.

[20] Dont j’ai tenté l’interprétation sociologique dans le texte hongrois cité en note 15 ci-dessus.

[21] Nous avons déjà développé cette hypothèse explicative dans Karady & S. Vari, 1987.

[22] Cf. Annuaire statistique de la Hongrie, 1896, 400.

[23] effectifs absolus ( N = ) entre parenthèses. La gamme des notes va de 1 = meilleure note, ‘excellent’ à  4 = note éliminatoire, échec. Plus la moyenne est élevée, moins bons sont les résultats.

[24] Les chiffres positifs indiquent des résultats médiocres, inférieures aux moyennes. Les chiffres négatifs sont la mesure de l’excellence. Plus ils sont élevés, meilleurs sont les résultats. Les rangs sur l’échelle d’excellence sont signalés entre parenthèses.

[25] Dans les vieilles sources statistiques de la scolarisation en Hongrie on trouve toutefois plusieurs tentatives pour mesurer séparément l’impact de la religion et de la langue maternelle (ou première langue d’usage) sur la réussite au baccalauréat au niveau national, ainsi que sur les redoublements des élèves des écoles primaires à Budapest. Ces résultats intéressants ne sont toutefois jamais combinés avec l’effet de l’appartenance socioprofessionnelle des élèves, pourtant connue et rendue publique par ailleurs.

[26] Les régions prises en compte dans l’enquête  sont celles apparaissant dans les statistiques nationales contemporaines (7 régions). Elles sont complétées par la distinction de Budapest et des territoires hors les frontières nationales d’avant 1919. La configuration des régions pourrait être évidemment tout aussi bien établie selon d’autres découpages territoriaux, notamment par comtés (départements).

[27] Dans cette région centrale à côté de la capitale on ne compte pas moins de 7 villes à autonomie administrative contre une moyenne de deux ou trois dans les autres grandes régions.

[28] Voir surtout les textes cités dans les notes 13 et 14 ci-devant.