Viktor Karady*
Les inégalités ethniques et confessionnelles dans les
performances scolaires des bacheliers en Hongrie (1851-1918)
Résumé
Cet article montre l’impact des diversités confessionnelle et ethnico-culturelle dans la formation des élites cultivées modernes en Hongrie. La période permet d’analyser les effets de la politique de « nationalisation » des élites (1851-1918) et de s’interroger sur leurs transformations suite aux bouleversements postérieurs (révolution, démembrement du territoire, occupations allemande puis soviétique). Le système de formation, outre ses visées pédagogiques, y a joué une fonction assimilatrice, en promouvant l’homogénéité culturelle et la loyauté nationale. Les inégalités scolaires sont observées au moment de la préparation au baccalauréat. Le taux de scolarisation et les inégalités de performances des élèves sont rapportées à la religion et à l’ascendance ou à l’origine ethnique (méthode patronyme). Il en ressort que la hiérarchie des performances épouse celle des fréquentations scolaires et la religion et l’ethnicité jouent un rôle décisif comme facteurs d’excellence (notamment dans les classes moyennes et supérieures), de même que les trajetoires scolaires longues et « nobles » constituent la principale voie d’assimilation des minorités allogènes en mobilité ascendante (Juifs et Allemands surtout). Des pistes d'interprétation de ces inégalités sont esquissées et croisent différentes rubriques : mobilité socio-culturelle, urbanisation distinctive, assimilation nationale et compensation des handicaps sociaux, structure socio-professionnelle de départ, capitaux culturels reçus en héritage historique.
Mots-clés: scolarisation, performances scolaires, religion, origine ethnique, assimilation, nationalisation, classes moyennes, élites, Hongrie, xixe siècle long
*
Le processus
de formation des élites hongroises s’inscrit dans un grand mouvement de
modernisation engagé depuis le Vormärz,
« ère des réformes » (1825-1848), menée sous la houlette de la
noblesse libérale. En 1843, la reconnaissance du hongrois comme langue d’État,
remplaçant le latin dans la sphère judiciaire, législative et éducative,
s’est accompagnée de la création d’une infrastructure culturelle
« nationale » (académie des sciences, théâtres, bibliothèques,
musées, etc.) ainsi que la magyarisation progressives des élites
allogènes. Cet effort de modernisation administrative et économique a
soutenu les mouvements d’acculturation des minorités nationales (juifs,
Allemands, Slovaques) et débouché sur une égalisation des conditions
statutaires des citoyens. Les jalons de ce procès a comporté la loi de
semi-émancipation des juifs en 1840 (puis celles successives d’émancipation
définitive en 1849 et 1867), l’admission des roturiers scolarisés à la
fonction publique (1841), la suppression des privilèges nobiliaires et l’abolition
du servage par les lois d’avril ‘post-révolutionnaires’ de 1848 qui instaurent aussi
l’égalité politique de principe (droit de vote pour les hommes adultes sur base
fiscale et éducative censitaire).
La construction de l’État
nation, pour partie achevée ainsi des avant la guerre d’indépendance perdue
contre l’Empire Autrichien, a été relancée par le Compromis austro-hongrois de
1867. Cet accord entre l’élite politique libérale de
Du
point de vue des divisions linguistiques, la taille de l’agrégat hungarophone
passa de 40 % au début du xixe siècle
à 54 % à peine en 1910, à la suite de forces
pressions assimilationnistes pesant sur les allogènes. Sur le plan
confessionnel, même l’Église catholique romaine, la plus importante
confession du pays par son statut de religion d’État issue de
Malgré
le maintien du poids politique de l’aristocratie[2], le processus de modernisation économique
et politique modifia peu à peu les rapports de forces au sein des élites
dirigeantes aux dépens de la noblesse et au bénéfice des nouvelles couches montantes,
composées avant tout de membres des professions libérales, de fonctionnaires en
tous genres et de cadres de l’industrie, du commerce, des banques et des
transports - secteurs d’investissements capitalistiques privilégiés. Ensemble,
ils tendaient à se définir comme la nouvelle classe moyenne tout en
conservant une association avec la gentry
(voire une certaine allégeance à son égard), attachés au maintien de la
symbolique seigneuriale (úri, herrisch)
dans leur mode de vie, dans leurs rapports aux classes populaires et dans leur
auto-perception comme ‘Messieurs’ (urak,
Herren).
Leur statut dans la vie
publique se matérialisait essentiellement par trois critères : une
occupation non manuelle et un minimum de propriété, un mode de vie bourgeois
(appartement d’au moins trois pièces, domesticité personnelle, etc.) et
un capital scolaire certifié (d’au moins quatre classes secondaires en bas de
l’échelle, diplôme universitaire en haut de l’échelle et bac au milieu). Ce
dernier critère, officialisé dans la loi dite des qualifications de 1883
(portant sur la correspondance obligatoire entre niveau d’instruction et poste
accessible dans la fonction publique), a contribué à revaloriser
l’éducation formelle en tant que « barrière et niveau », c’est
à dire base de classement dans les classes moyennes
« seigneuriales ». Il assurait aussi le passage progressif d’un
régime de sélection des élites par la naissance (et par le capital social de
relations qui s’y rattachait) au régime par essence méritocratique de promotion
fondé sur les titres scolaires et des compétences afférentes. Bien que cette
transformation des grands principes de sélection et de promotion ne fût
point achevée ni sous l’ancien régime ni même d’ailleurs sous le régime
communiste (qui n’était pas loin de s’en réclamer), ce mouvement marquait un
dépassement (certes partiel) de la pure autoreproduction des élites propre au
féodalisme.
Les
questions posées par l’impact des diversités confessionnelle et
ethnico-culturelle dans la formation des élites cultivées modernes en Hongrie de
1851 à 1948, période qu’on peut qualifier de ‘féodalisme tardif’
jusqu’à l’ère socialiste, ont donné lieu à l’élaboration
d’un projet de recherche transnationale sous ma direction dont on va présenter
ici quelques résultats particuliers.[3] Il s’agit d’un projet de très
vaste envergure, probablement l’un des plus volumineux entrepris sur un
ensemble de populations historiques[4]. Il repose sur la réalisation d’un
ensemble complexe d’enquêtes prosopographiques, conçues de façon à
saisir, aussi exhaustivement que le permettaient les sources, les jalons
biographiques (largement standardisés pour autoriser leur traitement
informatique), des itinéraires personnels des catégories étudiées[5], à partir de trois ensembles. Le
premier en est le public de l’enseignement secondaire classique, le second
concerne les étudiants et diplômés de l’enseignement supérieur, tandis que le
troisième réunit un ensemble plus disparate d’agrégats élitaires, comme les
membres des professions libérales, les intellectuels employés (professeurs, pasteurs,
prêtres, fonctionnaires, cadres privés, etc.), les adhérents de certaines
associations de type ‘idéologique’ (ex. francs-maçons, bataillons
universitaires contre-révolutionnaires en 1919, membres du cercle libéral Galilée,
etc.) ainsi que d’autres groupes élitaires définis par le statut de leur
participants (tels les officiers de réserve - aux privilèges et
attributions sociaux particuliers -, ‘des élites canonisées’ – personnes citées
dans biographies ou encyclopédie nationales, voire dans des publications
biographiques sur des auteurs, les lauréats de certaines distinctions ou bourses
d’études, etc.).
Plusieurs
sociétés nationales émergeantes ont été ciblées dans ces enquêtes,
choisies pour l’hétérogénéité des origines culturelles de leurs élites
postféodales, telles l’Estonie,
1. Les cadres du système éducatif élitaire
dans
Un
des grands projets poursuivis par l’administration de l’État dualiste pour
favoriser l’essor de ces nouvelles classes moyennes porte sur le développement
de l’appareil éducatif. Pour ce qui est de l’enseignement destiné aux élites,
le nombre des écoles secondaires a crû globalement de 161 dans les années
1860 à 246 en 1917/18[7] et le nombre des universités de un à
cinq (y compris l’Université Polytechnique de Budapest, fondée en 1871), sans
parler du réseau provincial des douze académies juridiques à la fin de
l’époque, des cinq écoles supérieures d’agriculture celle des mines et des
forêts, des quatre collèges artistiques ainsi qu’un ensemble de grands
séminaires, facultés et académies théologiques divers.
Ces
chiffres masquent un effort de modernisation et de reclassement intellectuels
considérables, tout au long de la période dualiste. Au moment du Compromis, la
majorité des gymnasiums (lycées avec latin) ne conduisent pas encore au bac (76
sur 146[8]) pour n’assurer que les quatre ou six premières
classes sur les huit, cette dernière étant la classe terminale du bac,
instauré par la grande réforme scolaire – dite Entwurf en abrégé – de l’Empire des Habsbourg en 1849. À la
fin de la période, il n’y avait plus que trente-deux ‘sous-gymnasiums’ de ce
type, soit 18 % du réseau d’alors. Qui plus est, depuis les années 1860 se
sont multipliées des écoles secondaires d’un nouveau genre : ‘l’école
bourgeoise’ (Bürgerschule) de quatre classes,
‘l’école réelle’ sans latin (
On
peut rappeler en trois points les données structurelles de ce dispositif éducatif
élitaire.
Tout
d’abord, il était presque entièrement étatisé, c’est à dire
contrôlé et au fil du temps financé par l’État. La prise en charge étatique s’inscrit
dans un long processus. Ses débuts remontent à la loi impériale Ratio educationis de 1777, suite
à l’expulsion des Jésuites. Le contrôle étatique ne cessera de se
renforcer sous le régime hongrois issu du Compromis de 1867.
De
là découle la fonction essentielle d’homogénéisation des élites et
d’assimilation culturelle de ses candidats allogènes, par le double biais
de la langue d’enseignement presque exclusivement hongroise et de la
nationalisation progressive des contenus cognitifs transmis, notamment dans
l’enseignement des humanités (matières de base dans les programmes des
gymnasiums mais aussi des ‘écoles réelles’[10]).
Pourtant, troisième particularité, le
réseau des gymnasiums – pièces centrales du dispositif – demeure très
divisé tout au long de la période selon les autorités de gestion – l’État et
les Églises, pour l’essentiel[11] – mais aussi, partiellement, par la
langue d’enseignement. Si le hongrois est devenu dominant dès 1844, puis
après 1859, par contraste avec une germanisation passagère pendant
la décennie absolutiste à la suite de
Le
tronc central du système de formation des élites était ainsi manifestement
destiné – en dehors des fonctions de formation et de pédagogie - à la
fonction assimilatrice, pour promouvoir l’homogénéité culturelle et la loyauté nationale
des nouvelles classes moyennes.
2. Une analyse des inégalités de scolarisation et des
performances scolaires
Les inégalités scolaires
sont ici observées à un moment particulier du parcours scolaire, le
moment de la préparation du baccalauréat, dans les classes terminales. L’attention
portée à ce moment n’a guère de précédent dans les travaux
d’histoire sociale[12], les travaux se concentrant généralement
plutôt sur la sélection sociale, confessionnelle ou ethnique des étudiants[13], sur les choix différentiels des études
supérieures, sur les réformes scolaires à visées politiques[14] ou encore sur le comportement
professionnel des diplômés sortis d’un cycle d’études universitaires.
Les
inégalités de performances des élèves de ces classes terminales dans les
principales matières enseignées et en éducation physique sont rapportées
à la religion et à l’ascendance ou à l’origine ethnique.
L’appartenance à ces catégories a été définie pour l’essentiel par une
méthode patronyme. Alors que la religion est une variable relativement
objective, en tant que donnée d’état civil pendant toute la période étudiée,
l’attribution de l’ethnicité repose sur un codage parfois difficile des noms de
famille. Si l’on en est pleinement conscient, les écarts de résultats scolaires
identifiés dans nos enquêtes sont suffisamment systématiques et se
prêtent à une interprétation socio-historique assez crédible pour
justifier a posteriori même le
recours aux patronymes comme indices approchés des origines ethniques. Cette
démarche méthodologique, qui n’a
guère d’antécédents, pourrait se prêter à la critique
anti-substantialiste ou ‘anti-essentialiste’ si nous attribuions aux variables
ethnique et confessionnelle une valeur universelle. C’est précisément pour éviter
ces écueils qu’on tentera de remonter aux cadres historiquement situés et
sociologiquement circonstanciés des inégalités qui marquent les performances
scolaires constatées. Ces cadres seront en effet illustrés par la variable
médiatrice temporelle (opposant les résultats des périodes successives dans le
temps) et par d’autres variables complémentaires servant généralement de
facteurs décisifs dans la détermination de l’excellence scolaire, comme en
particulier la catégorie socioprofessionnelle du père ou la région et la
résidence de naissance et de scolarité.
Dans les limites étroites assignées à cette étude,
tous les croisements des variables de base ressortissant à notre
enquête sur les élèves des classes terminales ne sauraient pas être
présentés dans leurs détails. On se contentera ici de mentionner les
principales données sur les inégalités de performances en question dans les
matières soit les plus sévèrement cotées (le latin, les
mathématiques et la physique), soit les plus ‘sensibles’ ou significatives dans
une perspective de construction nationale (le hongrois et l’histoire), soit les
plus ‘clivantes’ en raison de l’apport de compétences ou de capacités extrascolaires
qui peuvent y être investies (l’allemand et l’éducation physique)[15]. Pour l’effet des autres variables
supposées indépendantes des résultats scolaires, mobilisées dans
l’enquête, nous nous contenterons de résumer les principales conclusions
qui se dégagent de leur croisement avec la variable combinée du culte et de l’ethnicité.
Les résultats relatifs aux inégalités de
performance (Tableau 2) à partir des chiffres absolus des saisies
prosopographiques, livrent bien d’autres indices, notamment sur les différences
de fréquentation scolaire (niveaux de sur- ou de sous-scolarisation) au stade
du bac selon l’ethnicité et le culte et sur l’importance relative de la magyarisation
nominative des juifs en mobilité éducative, ainsi que des indications sur la
part d’élèves sur lesquels les informations pertinentes manquent au
sujet des notes. Ce sont les différences de fréquences de scolarisation qu’il
importe de mettre ici en lumière (Tableau 1), parce que – on le verra –
leur configuration peut être rapprochée des inégalités observées dans les
variations des performances. C’est sans doute faute de données sur la
composition de la population globale selon le caractère ethnique des
patronymes que la distribution des langues maternelles sert ici de base de
comparaison avec les bacheliers. Il s’agit donc d’un rapprochement dont on ne
retiendra que les écarts les plus visibles pour interpréter ceux-ci en termes
de fréquence de scolarisation.
a. Taux de scolarisation d’après des
critères ethniques et religieux
Ces écarts décrivent une hiérarchie relativement univoque. Deux agrégats
semblent systématiquement surreprésentés par rapport à leur part
présumée dans la population : les juifs et les Allemands. Chez les juifs,
l’éclatement entre les ‘Allemands’ de nom et les autres ne désigne que des
degrés estimés d’assimilation – puisque les Hongrois nominatifs ou leurs
ascendants ont dû demander l’autorisation de porter un patronyme hongrois,
geste rentrant dans la stratégie classique d’assimilation. Pour la plupart des
membres des autres agrégats ethniques, le patronyme exprime cependant de façon forte
sinon exclusive l’ethnicité d’origine, bien qu’on puisse trouver parmi les
‘Hongrois’ des autres confessions aussi des allogènes magyarisés. Ce
sont toutefois des cas rares, comparés aux juifs, même chez les germanophones
qui ont participé plus souvent que les Roumains ou les slaves au mouvement de
magyarisation nominative[16].
La grande majorité des Hongrois de souche (catholiques et calvinistes) est
régulièrement sous-représentée dans le corps estudiantin (à
l’exception des petits agrégats comme les luthériens ou les unitariens de
Transylvanie), mais bien moins toutefois que les ‘autres chrétiens’ (avant-dernière
ligne du Tableau 1) appartenant aux minorités roumaine, serbe ou ukrainienne.
La hiérarchie de la fréquentation scolaire s’établit donc comme suit : les
juifs en premier rang suivis par les luthériens et les autres Allemands en
général, les catholiques et calvinistes occupent une position moyenne basse,
dépassant quelque peu les grands groupes slaves (surtout slovaques) appartenant
à la chrétienté occidentale. Les membres des églises gréco-orientales
sont nettement en bas de l’échelle.
Dans une étude plus développée[17],
il conviendrait évidemment de faire entrer dans l’analyse bien d’autres
variables médiatrices des investissements scolaires que celles évoquées plus
bas pour expliquer ces inégalités. Il faudrait notamment prendre en compte le
niveau d’alphabétisation des différentes catégories ethno-confessionnelles et les
différences d’accès aux équipements scolaires, selon l’existence d’écoles
primaires propres, la taille de leurs réseaux d’écoles secondaires, leur niveau
d’urbanisation, ainsi que des estimations de leur capital culturel collectif
incarné dans leurs clercs et autres groupes d’intellectuels.
Tableau 1. Les élèves des classes
terminales des gymnasiums et des ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la
religion en Hongrie (1851-1918)
Religion et ethnicité (par patronymes pour élèves) |
Elèves des classes terminales (1851-1918) |
Population par langue maternelle et religion (1880)[18] |
Indices de sur- ou de sous- scolarisa- tion |
Catholique Romain + Hongrois |
19,1 |
25,1 |
- - |
Catholique Romain + Allemand |
12,8 |
8,6 |
++ |
Catholique Romain + Slave, autre |
14,0 |
13,5 |
+ |
Calviniste + Hongrois |
13,5 |
13,9 |
- |
Calviniste + Allemand |
1,1 |
0,7 |
++ |
Calviniste + Slave, autre |
2,0 |
0,2 |
+++++ |
Luthérien +
Hongrois |
2,7 |
1,9 |
+++ |
Luthérien + Allemand |
3,2 |
2,8 |
++ |
Luthérien + Slovaque, autre |
2,9 |
3,5 |
- - |
Juif + Hongrois |
5,0 |
2,6 |
++++ |
Juif + Allemand |
13,5 |
1,5 |
+++++ |
Juif + autre |
2,0 |
0,5 |
+++++ |
Autre religion + Hongrois (Unitarien) |
2,0 |
0,4 |
++ |
Autre religion + Allemand |
0,4 |
0,03 |
+++++ |
Autre religion + autre (Greco- Catholique, Orthodoxe) |
5,8 |
23,8 |
- - - - |
Ensemble |
100,0 |
100,0 |
|
b. Taux de performance d’après les
notations
Venons-en aux
questions de notre objet principal, les inégalités de performance (Tableau 2). Lorsqu’on
parcourt ces chiffres, trois configurations d’inégalités s’en dégagent.
Il y a d’abord une inégalité
très nette dans les niveaux moyens des notes. Le latin et les deux
matières scientifiques (mathématiques et physique) sont beaucoup plus
sévèrement notés que les autres. Les moyennes dans les autres
matières ‘intellectuelles’ dépassent de loin la moyenne en éducation
physique. Ces différences expriment les valeurs propres aux régimes des études
qui s’objectivent pour partie dans l’organisation du curriculum, c’est à
dire dans l’allocation du temps consacré aux différentes disciplines pendant
les huit classes du cursus secondaire. Selon le plan d’études des gymnasiums en
1899, par exemple, il n’y avait que cinq matières enseignées dans toutes
les classes, le latin occupant un cinquième des heures totales de cours
(44 sur 232), suivi des lettres hongroises (30 heures) et les mathématiques (26
heures) contre 16 heures d’éducation physique et autant de religion. Dans les ‘écoles
réelles’ (sans latin) ce sont les mathématiques auxquelles on accorde le
maximum d’heures de cours (31) complétées par la géométrie (20) et suivies des lettres
hongroises (28), de l’allemand (25) et du français (24)[19].
Le second type d’inégalités transparaît
des notes moyennes obtenues par les différentes catégories ethnico-religieuses.
On observe d’abord une relative convergence des positions définies par les
notes moyennes dans les matières intellectuelles, quelque différents
qu’en soient les niveaux. Pareille convergence répond sans doute à une
sorte de synthèse parfois volontaire que pratiquent les professeurs en
harmonisant entre eux l’octroi des notes, les élèves réputés bons
recevant des primes sous forme de ‘coup de pouce’ pour améliorer leurs notes
dans les matières mêmes où ils sont défaillants, alors que
les élèves de mauvaise renommée peuvent subir un effet contraire. Il y a
toutefois des exceptions notables à cette tendance à la
convergence des moyennes[20].
Les moyennes en Allemand modifient significativement la hiérarchie observée
dans les autres matières intellectuelles au bénéfice des catégories de
souche et de capital linguistique germaniques.
Toutefois, les observations principales du Tableau 2 portent sur la
configuration des niveaux de performance. La lecture de ce tableau est
grandement facilitée par les informations du Tableau 3, qui offre les séries
d’écarts des notes moyennes selon les catégories d’élèves par rapport aux
moyennes générales dans les différentes matières. On peut y lire aussi
entre parenthèses les rangs d’excellence.
La configuration des moyennes et des rangs reproduit d’assez près la
hiérarchie constatée des fréquences relatives de scolarisation citées dans le Tableau
1. Les champions d’excellence sont ici encore les juifs qui occupent douze fois
une des trois meilleures positions sur l’échelle d’excellence dans les
matières intellectuelles. Ici encore, ils sont suivis de près par
les luthériens qui alignent sept fois l’une des trois meilleures places, alors
que cela n’arrive pas une seule fois dans les autres catégories
confessionnelles. Dans l’avant-dernière colonne du Tableau 3, on peut
d’ailleurs lire l’exact ordre des rangs d’excellence conduits par les luthériens
allemands et suivis à très peu de distance (en termes d’indices
cumulés d’écarts aux notes moyennes des matières intellectuelles) des
trois catégories de juifs. De fait, dans chacun des agrégats confessionnels (à
l’exception des juifs) les Allemands réussissent un peu mieux que les Hongrois
ou les autres groupes ethniques, les écarts entre Allemands et autres se
creusant de façon particulièrement nette en Lettres allemandes
elles-mêmes. Cela confirme bien, d’ailleurs, si besoin en était encore,
que le statut d’Allemand nominatif (ou ‘d’origine’) allait bien de pair avec la
connaissance plus générale de la langue allemande. Pour le reste, les chrétiens
occidentaux (catholiques romains et calvinistes) occupent des positions moyennes
sur l’échelle d’excellence, alors que les chrétiens gréco-orientaux restent systématiquement
en bas de l’échelle.
Pour ce qui est
des performances en éducation physique, on note que la configuration des notes
moyennes est à peu de choses près l’inverse de la distribution
des notes moyennes dans les matières intellectuelles. Ici les juifs
prennent les dernières positions alors que les chrétiens occidentaux
(surtout les catholiques, les calvinistes hongrois et les unitariens)
présentent les meilleurs scores. Il est vrai que les membres d’« autres
religion et ethnies » (Roumains, Serbes et Ukrainiens), en bas de l’échelle d’excellence dans les
matières intellectuelles, sont aussi légèrement en dessus de la
moyenne générale, en position médiocre dans cette échelle d’excellence.
Manifestement les investissements scolaires de type intellectuel se font pour
ce public aux dépens d’investissements sportifs. Même si l’inverse n’est
toutefois pas toujours vrai, il y a une corrélation négative manifeste entre
performances intellectuelles et performances sportives dans le cadre du
système scolaire étudié.
La hiérarchie des performances dans les matières intellectuelles
épouse ainsi la hiérarchie des fréquentations scolaires au niveau du bac. On
pourrait en déduire immédiatement que, à ce niveau, l’excellence dans
les études n’a pas dû dépendre (au moins de façon décisive ou directe)
d’une simple sur-sélection des sujets intellectuellement les plus forts,
puisque l’agrégat juif, globalement de loin le plus performant, était également
celui qui envoyait les contingents relativement les plus larges dans les écoles
secondaires classiques (menant aux études supérieures). La réalité a pu
être plus complexe toutefois. Il se peut très bien que les
bacheliers juifs, quoique beaucoup plus nombreux que les chrétiens,
relativement à leur importance démographique, aient été issus d’une
sélection plus sévère dans un ensemble d’élèves débutants. Pour
les chrétiens, en effet, la raison essentielle de leur maintien au gymnasium
n’était rien d’autre que décrocher le bac, même avec des résultats
médiocres, parce qu’ils n’avaient pas d’autres alternatives scolaires, seul le
bac faisant fonction de titre social d’accès aux classes moyennes
« seigneuriales » qu’ils recherchaient. Les élèves juifs
devaient, en revanche, tout au long de leur scolarité démontrer leur bonne adaptation
aux exigences du gymnasium ou de l’« école réelle », faute de quoi
ils étaient exposés à la relégation aux cursus parallèles de l’« école
bourgeoise » (Bürgerschule)
post-primaire et de l’école commerciale supérieure, ou encore – avec ou sans
titre de scolarité secondaire - au statut de cadre privé, de boutiquier ou
d’artisan-commerçant. De fait, dans toutes ces catégories d’élèves ou de
personnes actives on constate une surreprésentation des juifs parmi les
étudiants des classes terminales des écoles secondaires[21].
Ces réussites scolaires pouvaient également prendre appui sur un ensemble
de dispositions propres - même si, là encore, de façon très
diverse - aux milieux juifs, germaniques ou autres concernés, provenant de leur
habitus de classe pré-moderne. Il s’agit de dispositions ‘proto-bourgeoises’
développées dans des villes féodales au sein du patriciat ou de la petite
bourgeoisie corporatiste ou encore dans les communautés juives le plus souvent
exclues des villes et de la plupart des marchés d’activités habituelles
(agriculture, artisanat corporatiste, commerce sédentaire, fonction publique).
Le fait d’être cantonné au commerce ambulant, aux métiers d’argent
(change, prêt à gages, prêt usuraire), aux petits transports,
à la production et à la vente d’alcool, au fermage de
privilèges nobiliaires, etc ; tous métiers sur marchés libres
exposés aux risques, sans parler des menaces d’expulsion en tant que juifs
à la résidence seulement ‘tolérée’ – tout cela a dû prédisposer au
contrôle de soi, à la discipline de vie et de travail, plus généralement
aux comportements rationnels quant aux visées de l’action. Lorsqu’on cite la
fiabilité économique, la capacité du calcul des gains et des pertes
escomptables, l’absence ou la faiblesse de l’alcoolisme, l’ethos d’assiduité au
travail, toutes formes de discipline corporelle pour s’adapter aux conditions
changeants de cohabitation en milieu hostile et à l’évolution des
rapports de forces féodales (Église, villes, aristocratie, petite noblesse)
tenant les juifs dans un état de soumission, ou aux mutations des régimes de
pouvoir étatique, notamment la législation régissant le statut des ‘étrangers
radicaux’ qu’étaient les juifs, on décrit la mentalité proto-bourgeoise qui,
dans les sociétés ouvertes surgissant après la chute du féodalisme, a
fait naître les différents avatars de la modernité. Le sens et le souci de
productivisme intellectuel, source des hautes performances scolaires, en fut
une partie intégrante.
Enfin, il ne faut pas négliger les
legs proprement intellectuels – promoteurs par excellence de la réussite
scolaire - objectivement échus aux élèves juifs ou luthériens des écoles
secondaires du 19e siècle. Pour les juifs, la chose est
simple et entendue, comme en témoigne amplement toute leur histoire sociale,
surtout dans le monde ashkénaze. Pratiquant une religion ‘quasi-intellectuelle’
au sens où l’activité religieuse est liée pour les hommes à la
lecture, à l’étude individuelle et, occasionnellement, à la
discussion des textes canoniques hébreux, les communautés juives pré-modernes
ont généralisé le bi- ou multilinguisme de leurs adeptes et développé un vaste
système scolaire. Par-là, se sont imposés non seulement
l’alphabétisation en principe obligatoire des hommes, mais encore un véritable
culte du travail intellectuel comme valeur suprême dans l’existence
masculine. Ce dispositif archaïque a pu se traduire chez bien des
descendants, même sécularisés, dans la recherche de la réussite à
l’école publique.
Le parcours
historique des luthériens était certes tout autre. Pourtant leurs congrégations
n’ont pas manqué d’exercer un impact semblable sur l’alphabétisation des
fidèles et le développement chez eux des dispositions intellectualistes.
Dans les communautés luthériennes traditionnelles d’une certaine taille on crée
des écoles primaires où l’assiduité est rendue obligatoire pour les
membres des deux sexes afin de leur assurer (et imposer) l’accès
individuel à l’écriture sainte. Pour la formation des maîtres et pour
l’instruction des oligarchies communautaires on construit un réseau étendu
d’écoles supérieures. En Hongrie par exemple vers 1895 les 8 % de luthériens
dans la population géraient pas moins de 14 % des gymnasiums (soit 15 sur
106) offrant le bac.[22]
De fait, les Saxons luthériens de Transylvanie ont représenté la seule minorité
allogène de l’État nation qui pendant toute la période dualiste
disposait de suffisamment de gymnasiums pour répondre à la demande de
scolarisation secondaire de sa propre clientèle. La sur-scolarisation
relative des luthériens, dûment documentée dans la littérature sur les
plans quantitatif et qualitatif, a donc été fortement impulsée par les
institutions communautaires.
L’excellence scolaire des élèves juifs ne devait donc pas
grand-chose à leur niveau de sélection statistique, mais plutôt à
des motivations et des ressources de compétition d’autre nature sur lesquelles
l’analyse des variables socio-culturelles des performances en question devrait
apporter des éclairages supplémentaires.
Tableau 2. Notes moyennes des élèves
(garçons) et effectifs des classes terminales dans les principales
matières sélectionnées selon l’ethnicité et la religion : gymnasiums et
‘écoles réelles’ (Hongrie, 1850-1918).[23]
Religion +
ethnicité (caractère du patronyme) |
|
HON-GROIS
LANGUE LETTRES |
ALLE- MAND |
LATIN |
HISTO- IRE |
MATHS |
PHY-SIQUE |
EDUCA-ION PHY-SIQUE |
|
Cath. Romain + Hongrois |
Moyenne |
2,20 |
2,39 |
2,53 |
2,17 |
2,52 |
2,35 |
1,67 |
|
N |
(24 003) |
(24 023) |
(22 512) |
(22 860) |
(27 743) |
(23 783) |
(13 483) |
|
|
Cath. Romain + Allemand |
Moyenne |
2,24 |
2,13 |
2,48 |
2,17 |
2,47 |
2,32 |
1,69 |
|
N |
(16 044) |
(15 945) |
(14 027) |
(15 448) |
(18 314) |
(15 943) |
(9 418) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Cath. Romain + Slave, autre |
Moyenne |
2,27 |
2,32 |
2,54 |
2,21 |
2,54 |
2,38 |
1,71 |
|
N |
(17 522) |
17 541 |
16 271 |
16 715 |
20 372 |
17 373 |
9 632 |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Calviniste + Hongrois |
Moyenne |
2,26 |
2,42 |
2,50 |
2,21 |
2,52 |
2,43 |
1,77 |
|
N |
(16 974) |
(17 145) |
(16 661) |
(15 973) |
(17 540) |
(16 837) |
(10 440) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Calviniste + Allemand |
Moyenne |
2,37 |
2,25 |
2,54 |
2,10 |
2,43 |
2,28 |
1,80 |
|
N |
(1 384) |
(1 390) |
(1 324) |
(1 345) |
(1 420) |
(1 374) |
(890) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Calviniste + Slave, autre |
Moyenne |
2,28 |
2,39 |
2,50 |
2,19 |
2,51 |
2,39 |
1,74 |
|
N |
(2 518) |
(2 561) |
(2 492) |
(2 348) |
(2 640) |
(2 501) |
(1 555) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Luthérien + Hongrois |
Moyenne |
2,13 |
2,21 |
2,42 |
2,04 |
2,49 |
2,29 |
1,75 |
|
N |
(3 343) |
(3 335) |
(3 083) |
(3 227) |
(3 031) |
(3 256) |
(2 041) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Luthérien + Allemand |
Moyenne |
2,17 |
1,91 |
2,37 |
2,06 |
2,40 |
2,20 |
1,79 |
|
N |
(4 050) |
(4 043) |
(3 570) |
(3 879) |
(3 946) |
(3 890) |
(2 529) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Luthérien + Slovaque, autre |
Moyenne |
2,21 |
2,21 |
2,44 |
2,18 |
2,49 |
2,32 |
1,80 |
|
N |
(3 635) |
(3 632) |
(3 366) |
(3 515) |
(3 453) |
(3 521) |
(2 162) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Juif + Hongrois |
Moyenne |
2,09 |
2,07 |
2,37 |
2,07 |
2,35 |
2,28 |
1,97 |
|
N |
(6 242) |
(6 242) |
(5 005) |
(6 191) |
(7 258) |
(6 170) |
(4 207) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Juif + Allemand |
Moyenne |
2,19 |
1,97 |
2,41 |
2,10 |
2,39 |
2,30 |
2,07 |
|
N |
(17 011) |
(17 075) |
(14 136) |
(16 578) |
(19 722) |
(16 865) |
(11 025) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Juif + autre |
Moyenne |
2,13 |
1,95 |
2,37 |
2,08 |
2,37 |
2,31 |
2,06 |
|
N |
(2 527) |
(2 564) |
(2 168) |
(2 481) |
(2 952) |
(2 536) |
(1 619) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Autre religion+ Autre (Unitarien) |
Moyenne |
2,36 |
2,50 |
2,60 |
2,26 |
2,65 |
2,50 |
1,69 |
|
N |
(2 553) |
(2 562) |
(2 480) |
(2 533) |
(2 877) |
(2 475) |
(1 700) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Autre religion + Allemand |
Moyenne |
2,36 |
2,42 |
2,53 |
2,30 |
2,60 |
2,47 |
1,81 |
|
N |
(483) |
(497) |
(476) |
(493) |
(588) |
(495) |
(349) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Autre religion + autre (Greco- Catholique, Orthodoxe) |
Moyenne |
2,39 |
2,38 |
2,57 |
2,29 |
2,62 |
2,50 |
1,82 |
|
N |
(7 298) |
(8 014) |
(7 554) |
(7 773) |
(9 041) |
(7 853) |
(4 695) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Ensemble |
Moyenne |
2,23 |
2,25 |
2,49 |
2,17 |
2,49 |
2,36 |
1,80 |
|
N |
(125 587) |
(126 569) |
(115 125) |
(121 359) |
(140 897) |
(124 872) |
(75 745) |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Tableau 3. Différences des notes moyennes des
élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et ‘écoles
réelles’ selon la religion et l’ethnicité par rapport à la moyenne
générale des notes conférées dans chacune des principales matières (Hongrie,
1851-1918)[24]
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
3. L’effet des variables complémentaires des
performances scolaires Pour tenter une
interprétation globale de nos observations – qu’on ne saurait certainement
épuiser dans les limites de cet article – on fera ici intervenir
empiriquement les principales variables socio-historiques présumées des
performances scolaires afin d’en mesurer l’impact et de voir si et dans
quelles mesures les co-variations constatées entre ethnicité, religion et
performances se maintiennent sous leur effet. a. La variable historique et religieuse dans le
temps La variable du
temps est organisée ici, dans un souci d’équilibre numérique approximatif, en
trois périodes quelque peu inégales (selon les dates des années du bac). Dans la
première période, qui dure près de trois décennies, on observer
une double dichotomie. Les luthériens prennent de loin les meilleures
positions, à distance respectable des autres. Toutefois, la réussite
de toutes les catégories tant soit peu allogènes – sauf la
dernière, celle des chrétiens gréco-orientaux – dépasse positivement
la moyenne cumulée des notes (c’est à dire, empiriquement, y restent
inférieures, dans une gamme où, faut-il le rappeler, la meilleure note
était 1). Les grands perdants à cette époque dans la course à
l’excellence étaient donc les allogènes chrétiens orientaux et les
masses d’élèves de souche hongroise (surtout catholiques et
calvinistes). Les juifs prennent déjà rang parmi les bons performants,
mais pas parmi les meilleurs. Cette situation va changer assez radicalement
dans les deux périodes suivantes (qui durent chacune deux décennies). Tout
d’abord les écarts entre niveaux de performances - tels qu’ils se dégagent
des écarts entre moyennes cumulées des notes – vont se réduire. De façon plus
significative, les constats fournis dans les Tableaux 2 et 3 se rétablissent
ici. Les juifs prennent les trois premières positions sur l’échelle
d’excellence, suivis par les luthériens allemands et, à distance, par
d’autres catégories d’Allemands. Les catégories hongroises occupent des positions
moyennes, alors que les gréco-orientaux demeurent toujours en queue de file
sur l’échelle d’excellence. La configuration finale (et globale pour tout le
corps estudiantin observé) des niveaux de performance s’établit donc
seulement dans la seconde partie de l’époque dualiste. Ce basculement des
niveaux de performance à la fin du long 19e siècle
est lié essentiellement à l’état de préparation socioculturelle des
groupes en compétition virtuelle. Les juifs, relativement nouveaux sur le
marché scolaire public au début de la période étudiée, provenaient de milieux
sociaux linguistiquement, confessionnellement et culturellement
allogènes, affrontés aux difficultés et servitudes de l’acculturation,
ce qui peut expliquer leurs performances encore passablement moyennes. Les
promotions ultérieures d’élèves juifs auront surmonté cette épreuve
historique et avancé leur assimilation (dans tous les sens attribués à
ce terme), de sorte que leurs ressources et motivations particulières
puissent développer leurs effets promotionnels en vue d’une réussite les
plaçant au sommet de l’échelle des performances scolaires. |
Table 4. Cumul des différences (avec indicateurs
des rangs de réussite) entre notes moyennes des élèves (garçons) des
classes terminales des gymnasiums et ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la
religion et les moyennes générales dans l’ensemble des principales
matières intellectuelles enseignées pendant trois périodes successives
de l’époque dualiste (Hongrie, 1850-1918)
|
|
1851-1879 |
1851-1879 |
1880-1899 |
1880-1899 |
1900-1918 |
1901-1918 |
RELIGION |
Nature ethnique des pat- ronymes |
cumul des diffé-rences |
Rang d’ex- cel- len- ce |
Cumul des diffé-rences |
rang d’ex- cel- len- ce |
cumul des diffé-rences |
rang d’ex- cel- len- ce |
R. Cath. |
Hongrois |
0,45 |
12 |
0,11 |
7 |
0,11 |
7 |
|
Allemand |
- 0,14 |
9 |
- 0,20 |
5 |
- 0,07 |
6 |
|
Autre |
0,68 |
13 |
0,24 |
8 |
0,16 |
8 |
Calviniste |
Hongrois |
0,43 |
11 |
0,76 |
13 |
0,16 |
8 |
|
Allemand |
- 1,43* |
4 |
0,41 |
11 |
- 0,09 |
5 |
|
Autre |
- 0,75 |
7 |
0,79 |
14 |
0,32 |
10 |
Luthérien |
Hongrois |
- 2,39 |
2 |
0,06 |
6 |
0,23 |
9 |
|
Allemand |
- 2,64 |
1 |
- 0,59 |
4 |
- 0,40 |
4 |
|
Autre |
- 2,05 |
3 |
0,36 |
10 |
0,42 |
11 |
Juif |
Hongrois |
- 0,68 |
8 |
- 1,09 |
1 |
- 0,96 |
1 |
|
Allemand |
- 0,92 |
6 |
- 0,76 |
3 |
- 0,44 |
3 |
|
Autre |
- 1,31 |
5 |
- 0,77 |
2 |
- 0,67 |
2 |
Autre |
Hongrois |
1,78 |
15 |
0,67 |
12 |
0,68 |
13 |
|
Allemand |
- 0,13* |
10* |
0,93* |
15* |
0,63 |
12 |
|
Autre |
0,95 |
14 |
0,35 |
9 |
1,00 |
14 |
* effectifs trop réduits pour que l’indice soit
significatif
b. La variable socioprofessionnelle
Le statut socioprofessionnel du père ou des parents est communément
regardé en sociologie de l’éducation comme la variable essentielle qui
détermine les chances d’accès aux échelons supérieurs du système
scolaire et les probabilités de réussite. On pourrait tirer bien des
indicateurs de nos données combinant l’indice de classe sociale d’origine avec
les catégories ethnico-religieuses – tels les notes moyennes ou les écarts aux
notes moyennes dans les différentes matières d’enseignement -, mais leur
présentation historiquement circonstanciée dépasserait l’espace assigné
à ce travail. Contentons-nous d’un seul ensemble de résultats comportant
les écarts cumulés aux notes moyennes pour les seules matières
intellectuelles qu’offre le tableau 5. Il s’agit en réalité d’un tableau
simplifié qui, pour ne pas alourdir et compliquer l’interprétation, non
seulement recourt à des catégories socioprofessionnelles
grossièrement synthétiques, mais encore fait l’impasse sur les effectifs
extrêmement différents de ces catégories.
Parmi les principaux constats qu’on peut tirer du Tableau 5, retenons
d’abord l’homogénéité ou la proximité décroissante des écarts aux moyennes lorsque
l’on passe des catégories inférieures, supposées moins dotées de capitaux
culturels (paysans, ouvriers, petite bourgeoisie), aux classes moyennes et
supérieures. La performance des élèves des classes les plus modestes est
beaucoup plus resserrée autour de la moyenne, quelle que soit la catégorie
ethnico-religieuse, que chez les élèves originaires des autres classes,
surtout des catégories supposant une formation supérieure. Les notes cumulées
(non pondérées) des catégories occupant les cinq premiers rangs de réussite
s’écartent de la moyenne de 2,74 chez les fils de paysans et ouvriers, de 2,06
chez les fils de petits bourgeois, mais de 4,94 chez les descendants des cadres
et fonctionnaires, de 7,54 chez les fils des professions cléricales et
enseignantes, 5,79 chez les fils des professions libérales et de 4,15 chez les
fils de la bourgeoisie. En d’autres termes la religion et l’ethnicité jouent
davantage le rôle de facteurs d’excellence dans les classes moyennes et
supérieures que dans le public scolaire issu des classes défavorisées.
Tableau 5. Cumul des différences (avec indicateurs
des rangs de réussite) entre notes moyennes des élèves (garçons) des
classes terminales des gymnasiums et ‘écoles réelles’ selon l’ethnicité et la
religion et les moyennes générales dans les six principales matières intellectuelles
selon la catégorie socio-professionnelle du père (Hongrie, 1851-1918)
religion-ethnicité (caractère
ethnique des patronymes) |
Ouvriers, paysans, petits pro- priétaires |
Artisans, commer- çants, restau-rateurs |
Cadres privés et fonction- naires |
1 cath.
rom. + hongrois |
-0,07 (8) |
0,12 (6) |
0,20 (11) |
2 cath.
rom. + allemand |
-0,51 (2) |
0,13 (7) |
0,07 (10) |
3 cath.
rom. + autre |
0,09 (9) |
0,54 (12) |
0,26 (12) |
4 calviniste-hongrois |
0,22 (10) |
0,36 (9) |
0,53 (14) |
5 calviniste-allemand |
-0,38 (5) |
1,09 (14) |
0,54 (15) |
6
calviniste-autre |
0,65 (12) |
-0,22 (5) |
-0,01 (8) |
7 luthérien-hongrois |
-0,31 (7) |
0,63 (13) |
-0,41 (6) |
8 luthérien-allemand |
-0,99 (1) |
-0,74 (1) |
-0,95 (3) |
9 luthérien-autre |
0,57 (11) |
0,38 (10) |
-0,00 (9) |
10 juif-hongrois |
-0,44 (3) |
-0,28 (4) |
-1,34 (1) |
11 juif-allemand |
-0,33 (6) |
-0,31 (3) |
-0,88 (4) |
12
juif-autre |
-0,42 (4) |
-0,51 (2) |
-1,19 (2) |
13 autre
relig. + hongrois. |
1,06 (14) |
0,23 (8) |
0,47 (13) |
14 autre
relig. + allemand |
2,14 (15) |
0,43 (11) |
-0,61 (5) |
15 autre
relig. + autre ethn. |
0,82 (13) |
1,66 (15) |
-0,13 (7) |
religion-ethnicité
(caractère ethnique des patronymes) |
Pasteurs, prêtres,
instituteurs, professeurs |
Professions libérales et intellectu- elles |
Bourgeoisie d’entreprise, propriétaires, rentiers |
Total |
1 cath.
rom. + hongrois |
-0,22 (8) |
0,79 (12) |
0,40 (11) |
0,24 (9) |
2 cath.
rom. + allemand |
-0,31 (7) |
0,33 (10) |
-0,05 (8) |
-0,00 (6) |
3 cath.
rom. + autre |
0,17 (11) |
0,89 (13) |
0,67 (12) |
0,43 (12) |
4 calviniste-hongrois |
0,23 (12) |
0,27 (9) |
0,17 (9) |
0,33 (10) |
5 calviniste-allemand |
-0,35 (6) |
0,39 (11) |
-0,58 (5) |
0,14 (8) |
6 calviniste-autre |
0,12 (10) |
1,32 (14) |
0,37 (10) |
0,33 (11) |
7 luthérien-hongrois |
-0,71 (5) |
-0,80 (5) |
-0,95 (2) |
-0,42 (5) |
8 luthérien-allemand |
-1,12 (4) |
-0,28 (6) |
-0,60 (4) |
-0,85 (2) |
9 luthérien-autre |
-0,11 (9) |
-0,08 (8) |
-0,91 (3) |
0,01 (7) |
10 juif-hongrois |
-2,08 (2) |
-1,24 (3) |
-0,19 (7) |
-0,85 (3) |
11 juif-allemand |
-1,37 (3) |
-1,31 (1) |
-0,54 (6) |
-0,67 (4) |
12
juif-autre |
-2,26 (1) |
-1,28 (2) |
-1,11 (1) |
-0,96 (1) |
13 autre
relig. + hongrois. |
1,59 (14) |
-1,16 (4) |
0,78 (13) |
0,96 (14) |
14 autre
relig. + allemand |
1,04 (13) |
-0,27 (7) |
0,91 (15) |
0,69 (13) |
15 autre
relig. + autre ethn. |
1,73 (15) |
1,64 (15) |
0,88 (14) |
1,03 (15) |
Pourtant, la hiérarchie générale de la réussite observée jusqu’ici n’est
guère bouleversée à l’intérieur des agrégats d’origines socioprofessionnelles
différentes. Certes dans la catégorie des fils d’ouvriers et de paysans
(où il y a très peu de juifs) les deux meilleures réussites
appartiennent aux Allemands luthériens et catholiques, suivis seulement par les
divers agrégats juifs. Chez les élèves sortis de la petite bourgeoisie ce
sont également les luthériens germaniques qui président aux rangs d’excellence,
mais ils sont talonnés de près par les agrégats juifs. Ces derniers
prennent toutefois les tout premiers rangs parmi les élèves des trois
catégories de classes moyennes, alors que chez les fils de la bourgeoisie les juifs
partagent ces meilleurs scores avec les luthériens, voire avec les calvinistes
germaniques (catégorie aux effectifs très faibles). Force est de
constater que la dynamique de la réussite se déploie à peu de choses
près de la même manière partout à l’avantage des
juifs, des luthériens et des agrégats germaniques, quelle que soit la catégorie
socioprofessionnelle d’origine des élèves en question.
Il s’agit ici d’un résultat à certains égards absolument décisif de
notre travail, puisqu’il confirme la primauté des déterminismes attachés
à la religion et à l’ethnicité aux dépens des facteurs de
l’origine de classe dans la promotion intellectuelle des futures élites
cultivées à l’époque dualiste. On peut le regarder comme une avancée
scientifique intéressante, dans la mesure où jusqu’ici les rares études
socio-historiques disponibles sur la scolarisation n’ont, à ma
connaissance, jamais imputé à l’ethnicité et à la religion une
fonction plus importante que l’origine de classe, parmi les conditions de la
réussite scolaire. Il est vrai que les sources de données historiques ont
jusqu’à maintenant autant manqué que les essais d’interprétation des
effets des deux types de facteurs[25].
c. La variable de l’origine géographique et
régionale
Évoquons rapidement le thème à bien des égards intriguant des
inégalités de performances liées aux attaches régionales. Dans nos bases de
données, nous en avons trois indices, le lieu de naissance, la ville de la
scolarité secondaire et la résidence familiale. Faute de pouvoir entrer ici
dans la problématique complexe des identités et rapports de forces culturels, de
la stratification socioprofessionnelle et éducative, de la composition ethnique
ou religieuse et du degré d’urbanisation – tous facteurs susceptibles de
contribuer à l’interprétation des résultats régionaux -, je rappelle ici
seulement trois types d’observations de portée générale tirées de notre
enquête[26].
Premièrement, il est clair que les régions les plus urbanisées –
comme l’agglomération de la capitale et le centre (entre Danube et Tisza[27])
– présentent les taux de scolarisation les plus élevés de toutes les grandes unités
régionales distinguées. Par-là, notre enquête confirme les
statistiques contemporaines afférentes tout en démontrant son caractère
parfaitement représentatif (en dépit d’un manque d’information de l’ordre de 30-35 %
pour l’une ou l’autre des trois variables mobilisées dans nos données).
Plus intéressant est le fait que la hiérarchie des mesures d’excellence
suit de près dans toutes les unités régionales la hiérarchie globalement
établie, sans y être toutefois entièrement identique. Les
élèves juifs présentent dans toutes les régions des notes moyennes
dépassant nettement les moyennes régionales. Chez les trois catégories de luthériens
cela arrive dans 23 cas sur 30, chez les calvinistes dans 10 cas sur 30 et chez
les catholiques romains dans 9 cas sur 30 seulement. Les performances des
autres catégories d’élèves restent toujours inférieures aux moyennes. En
prenant appui sur les rangs de performance des futurs bacheliers par grandes
régions de naissance, les élèves juifs prennent 25 fois un des 5
premiers rangs, les luthériens 15 fois, les calvinistes 3 fois, les catholiques
romains 2 fois. Si l’on ne considère que les deux premières
positions, elles sont occupées par des élèves juifs 9 fois, par des luthériens
7 fois et par des calvinistes 2 fois.
Enfin, il importe de noter des écarts à la moyenne très
variables selon les régions. Ces différences sont notamment partout supérieures
à l’écart observé pour Budapest. Pour la capitale par exemple, les
élèves juifs arrivent en premier rang dans l’échelle d’excellence avec
une note moyenne de -0,59 seulement, alors que les élèves des cultes gréco-orientaux
ont un score de 0,90, soit une différence en termes d’écarts entre notes
moyennes extrêmes de 1,49. Dans la région du nord de
*
La place manque ici pour esquisser une théorie tant soit peu compréhensive
des inégalités de performances scolaires. On a pu en présenter certains éclairages,
dont il y a lieu de penser qu’ils sont essentiels pour conduire à des
pistes d’interprétation globalement applicables. Seulement, je tenterai
d’indiquer les principales de ces pistes dont bien des aspects ont été traités
dans mes précédentes publications relatives notamment à la sur-scolarisation
des juifs et des luthériens à l’époque présocialiste dans le Bassin des
Carpates.[28] On peut en résumer
l’essentiel sous les rubriques suivantes, fortement interdépendantes (mais dont
on ne saurait dessiner ici les généalogies et entrecroisements historiques par
trop complexes) : mobilité socioculturelle, assimilation nationale et
compensation des handicaps sociaux, structure socioprofessionnelle de départ,
capitaux culturels reçus en héritage historique.
Le parallélisme mis en lumière entre la sur-scolarisation des juifs
et (de façon plus modeste) des agrégats luthériens et germaniques (y compris
d’autres groupes aux attaches allemandes, surtout catholiques) d’une part et
les performances scolaires distinctives des mêmes groupes d’autre part
nourrit ainsi l’idée que, dans cette société profondément multiculturelle, l’effort
de mobilité éducative à l’époque postféodale a été surtout
caractéristique de quelques minorités socioculturelles disponibles à la
mobilité sur d’autres plans aussi. Cette mobilité devait s’entendre dans
plusieurs sens – urbanisation, mobilité professionnelle vers les métiers
intellectuels, intégration dans les nouvelles classes moyennes (voire dans les
anciennes élites via anoblissement),
nuptialité mixte, sécularisation, changement de langue d’usage et
multilinguisme, transformations identitaires au dépens de l’identité ethnique
ou religieuse héritée, etc., tout cela pouvant aller de pair avec la mobilité
éducative intergénérationnelle. L’un ou l’autre élément de ces transformations pouvait
certes manquer dans les agrégats distingués par leur mobilité éducative. Chez
les saxons luthériens de Transylvanie, par exemple, le culte de l’excellence
scolaire combiné au passage fréquent par une université allemande n’a point été
associé à l’abandon de l’identité germanique ou au souci d’assimilation
nationale à la hongroise, ni d’ailleurs avec une forte mobilité
géographique ou avec une sécularisation poussée. On en retrouve trace pourtant
chez leurs coreligionnaires du Nord-Est ou du Nord-Ouest (les Zipsers) également Saxons d’origine. Dans
la paysannerie catholique germanique dite souabe
de l’ouest du pays ou du sud de
Dans tout effort collectif ou individuel de mobilité il y a un élément
stratégique. Celui-ci vise l’amélioration de sa situation sociale,
l’acquisition d’une identité conforme aux valeurs qu’on adopte (au 19e siècle
notamment celles de la modernité et du nationalisme), ainsi que – pour ceux qui
étaient concernés (tels les juifs) – la compensation d’une relégation sociale subie.
Il s’agit toujours d’une sorte de lutte pour le reclassement dans la société
donnée. À l’époque postféodale, pendant le processus de construction de
l’État nation hongrois, toutes les minorités allogènes du bassin des
Carpates devaient affronter le défi de l’assimilation et de l’intégration dans
l’ethnie titulaire magyare sous la pression assimilatrice de son élite
nobiliaire. La majorité démographique des allogènes (qu’ils soient
Roumains, Serbes, Ukrainiens, voire Slovaques ou Saxons de Transylvanie) ont
répondu négativement – certes dans des conditions sociopolitiques et avec des
motivations historiques fort différentes - à l’offre de ce que j’ai
appelé ailleurs en manière de métaphore ‘le contrat social
d’assimilation’ à la hongroise. D’autres, en revanche, tout d’abord les juifs
de type ‘occidental’, la petite communauté arménienne, plusieurs agrégats
d’Allemands catholiques et luthériens ainsi que d’autres éléments minoritaires,
ont vite fait de souscrire (surtout à partir du Vormärz) à ce contrat tout virtuel ou symbolique,
s’inscrivant dans le procès de ‘nationalisation’ de cette société exceptionnellement
composite d’un point de vue ethnique et confessionnel. Ces agrégats
‘assimilationnistes’ avaient des raisons différentes de prendre le train de
SOURCES
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Annuaire statistique de
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[1] Données du recensement de
1910. Cf. Annuaire statistique de
[2] Dans les trois premiers gouvernement formés aprés le Compromis entre 1867 et 1872 on trouve 34 % d’aristocrates titrés. Dans les trois derniers gouvernements en 1913-1917 il y en avait 45 %. Cf. J. Bölöny, 1987, p. 82-84 et 90-92. Si l’on prend en compte les seuls ministères clefs entre 1875 et 1918 (premier ministre, intérieur, commerce et finances), il n’y avait que 23 % de roturiers pour en détenir la direction. Cf. A. C. Janos, 1982, p. 111.
[3] Le projet (à l’acronyme d’ELITES08) a
bénéficié d’un soutien du Conseil de
[4] Les saisies informatiques des données prosopographiques ont largement dépassé un million de cas personnels, dont quelques 558 300 élèves de l’enseignement secondaire en Hongrie entre 1851 et 1948. La banque de données de la présente étude renferme des informations personnelles sur 205 400 élèves (garçons) des classes terminales des gymnasiums et des ’écoles réelles’ entre 1851 et 1919 (date des inscriptions). Les effectifs réels sur lesquels on a disposé d’informations pertinentes mises en valeur dans ce texte sont indiqués entre parenthèses dans les chiffres du tableau 1.
[5] Les variables ont trait,
en amont, aux données d’état civil
(date, lieu de naissance), aux indicateurs d’identité culturelle (religion,
langue maternelle, nature ethnique du patronyme et du prénom, changements de
culte ou de patronyme), au milieu familial (profession, niveau d’éducation,
résidence du père ou des parents ou du tuteur), qui tiennent lieu de
variables indépendantes. Les variables semi-indépendantes, relatives aux
trajectoires scolaires, renseignent, jusqu’au bas, sur le lieu et le type de
lycée (public ou confessionnel), l’obtention de bourses ou l’exemption de frais
de scolarité, la date (et l’âge) du baccalauréat, le choix d’études supérieures
ou de profession, les résultats chiffrés en classe terminale dans les diverses
matières. Les variables sur les études supérieures (variables
dépendantes) renseignent sur l’établissement(s) fréquenté(s), y compris les
universités étrangères, les dates (et âges) d’entrée et de sortie, les
spécialisations, la date (âge) d’obtention du diplôme ou d’abandon des études,
la qualification des diplômes et leur nature (ex. Doctorat, diplôme
professionnel, etc.). Concernant les itinéraires professionnels (données éparses
qui restent à être élaborées ou complétées grâce au croisement de
nos prosopographies catégorielles), les informations concernent les métiers
occupés, les statuts professionnels successifs (ex. pour les juristes :
avocat, fonctionnaire ou sans usage professionnel), les fonctions occupées dans
associations professionnelles, les publications (livres ou articles
professionnels, belles-lettres) et les médailles, prix ou distinctions
officielles obtenus.
[6] Il s’agit d’États nations
devenus indépendants à l’issue du démantèlement des régimes
féodaux pendant le long 19e siècle et dont les élites instruites
comportaient d’importants contingents (ex. un quart du total) provenant de
minorités ethniques et/ou religieuses. En dehors de
[7] Cf. I. Mészàros, 1988, p .294-321.
[8] Annuaire statistique de
[9] Le bac des gymnasiums avec Latin donnait accès a tous les facultés, académies ou collèges postsecondaires. Le bac des ’écoles réelles’ permettait l’admission dans les filières technologiques et commerciales supérieures. Les ’écoles commerciales supérieures’ ne faisaient entrer que dans les établissements supérieurs de type commercial. Pour les bachelières, quelle qu’ait été la nature de leur titre, seules les facultés philosophiques et médicales étaient accessibles depuis 1895 jusqu’en 1945 avec – depuis leur fondation dans les années 1870-1880 - les acadéámies de formation artistique et (depuis l’entre-deux-guerres) quelques collèges supérieurs professionnels nouvellement créés (telle l’Ecole de pédagogie thérapeutique à Budapest ou l’Ecole normale pour professeurs ’d’écoles bourgeoises’ à Szeged).
[10] À titre d’exemple, dans les programmes de 1899, les matières scientifiques n’occupaient que moins d’un quart des 232 heures hebdomadaires de cours au total dans les huit classes des gymnasiums et 35 % des ’écoles réelles’. Cf. J. Mészáros, 1988, p. 103.
[11] A l’origine, même
après l’expulsion des Jésuites et les réformes passablement
anticléricales de l’empereur Joseph II
(qui a dans les années 1780 autoritairement aboli les ordres religieux
’contemplatifs’ n’assurant pas des services publics), l’enseignement secondaire
restait confié aux soins des grandes églises chrétiennes au statut privilégié.
L’État et (sauf exceptions, plus rarement) les municipalités ont commencé
d’établir des gymnasiums dans les années 1860 seulement. Ils étaient toutefois
les principaux maîtres d’oeuvre dans la création des réseaux d’’écoles bourgeoises’,
d’’écoles réelles’, d’écoles supérieures commerciales et de lycées des filles.
En 1910 sur l’ensemble des 246 écoles secondaires de statut divers on compte 91
gérés par l’État, 39 sous l’Église catholiques et 19 financés sur les fonds
confisqués a la fin du 18e siècle des congrégations catholiques
supprimées, 31 calvinistes, 25 luthériens, 11 municipaux, les quelques autres
étant dispersés entre les autres Églises, les associations et des gstionnaires
privés. Cf. Annuaire statistique de
[13] Cf. Karady Victor 1984, Karady Victor
1990, Karady Victor 1989, Karady Victor 1997, Karady Victor 2012/A,
[14] Karady Victor 1993, Karady Victor 1993, Karady & P. Tibor Nagy (ed.), 2012.
[15] L’interprétation détaillée des résultats
globaux dans les différentes matières d’enseignement (sur laquelle je ne
reviendrai pas ici), a été tentée ailleurs. Cf. Karady Victor 2012, Karady
Victor 2013.
[16] Ces problèmes ont été amplement traités dans notre livre avec I. Kozma, 2002. À l’époque dualiste on a pu estimer à un sur 18 le nombre de juifs ayant magyarisé leur patronyme contre un sur 127 catholiques allemands, un sur 190 catholiques slaves (Slovaques), un sur 335 luthériens slaves et un sur 426 luthériens allemans, pour ne citer que les agrégats qui ont été significativement touchés par le mouvement de magyarisation nominative. Cf. V. Karady et I. Kozma, 2002 p. 83.
[17] Voir surtout les travaux cités dans la note 15 ci-dessus.
[18] Source : K. Keleti, 1882. p. 23. Il faut compter 1 % de
‘divers’ s’ajoutant au total calculé ici.
[19] Cf. I. Mészáros, 1988, p. 103.
[20] Dont j’ai tenté l’interprétation sociologique dans le texte hongrois cité en note 15 ci-dessus.
[21] Nous avons déjà développé cette hypothèse explicative dans Karady & S. Vari, 1987.
[22] Cf. Annuaire
statistique de
[23] effectifs absolus ( N = ) entre parenthèses.
La gamme des notes va de 1 = meilleure note, ‘excellent’ à 4 = note éliminatoire, échec. Plus la moyenne
est élevée, moins bons sont les résultats.
[24] Les chiffres positifs indiquent des résultats
médiocres, inférieures aux moyennes. Les chiffres négatifs sont la mesure de
l’excellence. Plus ils sont élevés, meilleurs sont les résultats. Les rangs sur
l’échelle d’excellence sont signalés entre parenthèses.
[25] Dans les vieilles sources statistiques de la
scolarisation en Hongrie on trouve toutefois plusieurs tentatives pour mesurer
séparément l’impact de la religion et de la langue maternelle (ou
première langue d’usage) sur la réussite au baccalauréat au niveau
national, ainsi que sur les redoublements des élèves des écoles
primaires à Budapest. Ces résultats intéressants ne sont toutefois
jamais combinés avec l’effet de l’appartenance socioprofessionnelle des
élèves, pourtant connue et rendue publique par ailleurs.
[26] Les régions prises en compte dans
l’enquête sont celles apparaissant
dans les statistiques nationales contemporaines (7 régions). Elles sont
complétées par la distinction de Budapest et des territoires hors les
frontières nationales d’avant 1919. La configuration des régions
pourrait être évidemment tout aussi bien établie selon d’autres
découpages territoriaux, notamment par comtés (départements).
[27] Dans cette région centrale à côté de la capitale on ne compte pas moins de 7 villes à autonomie administrative contre une moyenne de deux ou trois dans les autres grandes régions.
[28] Voir surtout les textes cités dans les notes 13 et
14 ci-devant.