Victor Karady

karadyv@gmail.com

 

Numerus clausus et fuite des cerveaux dans l’autre Europe (XIXe-XXe siècle)

 

Beaucoup d’étudiants étrangers s’inscrivant en nombres croissants dans les universités occidentales depuis les années 1890s jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale provenait de candidats qualifiés empêchés de faire leurs études chez eux par des mesures discriminatoires. Les cas les plus flagrants concernent les Juifs de certains pays de l’est, mais il y avaient aussi des réfugiés politiques, des femmes et d’autres catégories d’exclus. L’exposé tente de recenser les conditions sociales de ce processus de débordement de la demande d’études sur l’étranger avec ses grandes ruptures historiques sur l’exemple des Juifs.

 Au dela de l’inégalité de développement entre Etats nations émergeants et l’Occident – qui fait diriger une partie des nouvelles élites vers les universités occidentales par un ’effet de marché’ -, il faut surtout tenir compte ici des inégalités de modernisation qui se développent entre fractions juive et non juive des nouveaux Etats plus ou moins partout dans les pays de l’est. Cela aboutit notamment au phénomene décisif de la sur-scolarisation juive à l’époque post-féodale. Elle sert de prétexte à la politique de refoulement ’anti-assimilationniste’ de certaines autorités étatiques (Roumanie et Russie avant 1917-1919, Hongrie 1920, Roumanie, Pologne dans les années 1930), provoquant des mouvements d’émigration déguisée dans les classes cultivées ’modernistes’ d’origine allogène, en particulier chez les Juifs. Une certaine différence distinctive peut toujours s’observer entre les grands agrégats d’étudiants (Juifs et non Juifs) quant aux choix d’études (en Occident), au taux des retours et même à la réussite universitaire. Trois moments historiques de rupture marquent l’orientation vers les grands pays d’accueil (France et Allemagne d’abord, secondairement Suisse et Belgique, puis Italie) des flux estudiantins en question : les troubles révolutionnaires russes de 1904-1905, la Grande Guerre et la réorganisation des rapports internationaux en Europe (avec, notamment, la fermeture des frontières de la Russie soviétique, jadis principale foursisseuse d’étudiants migrants), enfin l’avènement du nazisme en Allemagne. Chacun induit des mutations spécifiques dans l’offre et dans la demande d’études à l’étranger, affectant le nombre et le recrutement socio-culturel des étudiants concernés. La fascisation d’abord rampante, puis accélérée (jusqu’au numerus nullus) des marchés universitaires roumain, polonais et hongrois dans l’entre-deux-guerres (assortie de violences anti-juives) représente un prélude á la Shoah.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pérégrinations contraintes et migrations stratégiques. Les cadres socio-historiques de la fuite des cerveaux de l’Autre Europe (1890-1940)

 

Toutes les données qu’on puisse réunir sur la présence d’étangers - issus, pour l’essentiel, de la Russie, des Balkans et du Centre-Est européen - dans les universités occidentales montrent qu’il y a une nouvelle donne à cet égard depuis les années 1890s, dont le modèle perdure jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale.

-          remarquons qu’il s’agit presque exclusivement de l’Europe de l’Ouest continentale limitée pour l’essentiel aux quatre pays suivants : France, Allemagne, Suisse et Belgique – soit a des pays francophones et germanophones petits et grands

o       a ceux-ci on doit ajouter, avec des réserves, l’Autriche avec, surtout, l’Université de Vienne, siège d’universités et d’autres écoles supérieures spécialisées de langue allemande, accueillant une proportion élevée, parfois majoritaires, de locuteurs non allemands.

§         Il y a d’autres universités du réseau autrichien de langue allemande concernées (notamment Prague et Czernovitz en Bukovine)

§         Ce réseau autrichien ne rentre pourtant pas dans le même cadre que les pays d’accueil universitaire suscités

·         puisque Vienne, Prague, Czernovitz etc. représentent, jusqu’en 1919, des établissements allemands de haut enseignement d’un empire multiculturel qui a réuni pour l’essentiel, naturellement, des étudiants autochtones de l’Empire mais souvent allogènes par rapport a la civilisation germanique – ce dont Vienne fut au 19e siècle déjá un des hauts lieux académiques

·         d’autres universités germaniques de l’Empire des Habsbourg servaient aussi principalement aux autres „étrangers de l’intérieur” (dépourvus de statut d’autonomie culturelle ou administrative), telle Czernovitz (1875) pour des Juifs, des Allemande de Bukovine, des Ukrainiens et des Roumains, Prague (jusqu’á la division en 1883) aux Tchèques, ou Graz aux Croates et Slovènes.

o       ailleurs dans l’Ouest européen soit qu’on ne trouve des étudiants étangers en nombre et proportions un peu visibles que dans l’entre-deux-guerres, plutôt dans les années 1930s seulement (Italie),

o       soit que cette population allogène provient du dehors de l’Europe (Angleterre, Espagne ou le Portugal avec leurs étudiants coloniaux des empires respectifs)

§         certains pays de l’Ouest – la France, la Belgique ou le Pays-Bas – connaîtront également, mais beaucoup plus tard (pas avant les années 1930s, plutôt depuis les années 1950s et 1960s) l’afflux d’étudiants coloniaux dans le haut enseignement métropolitain

o       soit qu’il s’agit de groupes étrangers investissant quelques filières étroites seulement (comme les étudiants en théologie protestante du Centre-Est européen les facultés de théologies calvinistes aux Pays Bas ou en Ecosse)

o       soit, outre-mer, dans les pays neufs investis par la civilisation européenne (USA, Canada, Amérique du Sud, etc.) la plupart des étudiants de culture et de langue allogènes étaient dès cette époque des immigrés définitifs ou issus de l’immigration européenne.

§         Les pays européens recevront aussi, justement à partir des années 1880s, des vagues d’immigrés de l’Est européen, des Balkans et du Levant (dont beaucoup de Juifs ashkénazes, mais aussi sépharades) dont certains ou certains de leurs descendants s’inscriront dans une faculté française ou anglaise à titre d’étranger.

 

Parmi les grands faits nouveaux de cette situation, marquée par des mouvements d’étudiants en masse vers les universités francophones et germanophones, il n’est pas difficile de relever des éléments de contrainte parmi les motifs du départ.

-          Une analyse un peu attentive trouve pourtant ces éléments de contrainte le plus souvent entremêlés à d’autres motifs, notamment stratégiques, c’est à dire, des motifs liés à des projets individuels ou collectifs visant des avantages professionnels et existentiels, ce dont l’acquisition n’aurait pas été possible dans le cadre des Etats nation ou empires nationaux d’origine. Les intérêts en jeu n’auraient pas pu être satisfaits qu’au prix du déplacement du lieu d’études en Occident.

-          Concrètement, même dans une approche sommaire, à la visée ’préalable’, on peut faire le recensement suivant de ces situations de contrainte, qu’on a assorti ici d’un minimum de références socio-historiques. (Il en conviendrait de développer les détails ailleurs) :

-           

o       1. Études en Occident pour suppléer à l’absence ou à la faiblesse de l’offre universitaire dans le pays d’origine : débordement de la demande d’études sur l’Occident par nécessité absolue

§         C’est le cas le plus général jusqu’aux années 1900 (parfois bien au-delà) pour les étudiants issus des pays à l’infrastructure universitaire lacunaire, tardivement ou récemment établie et/ou – paradoxalement – archaïque, comme de tous les nouveaux Etats nations des Balkans, voire de la Russie.

·         De fait dans les nouvelles universités on établit avant tout des facultés de lettres (pour la formation des enseignants du secondaire et du primaire) et de droit (pour la formation du personnel politique et administratif des nouveaux Etats), en négligeant ou en minimisant l’investissement dans d’autres spécialisations intellectuelles.

·         Certaines disciplines modernes en ingénierie, en médecine, en études d’art, dans les sciences humaines naissantes (sociologie, psychologie, etc.) manquent entièrement ou ne sont que faiblement représentées pendant longtemps dans l’enseignement supérieur des pays de l’Est et du Sud

·         Pour d’autres spécialités il y a une qualité différentielle des études en Occident (prestige des grands maîtres des universités et écoles de pensée occidentales)

·         On peut adjoindre à ces situations de ’contraintes relatives’ celles créées par la conscience du sous-développement

o       La recherche d’études en allemand ou en français propre a l’intelligentsia des pays de l’Est (surtout avant 1918) se justifie pour les intéressés par sa propre vertue même

·         Cette inégalité de développement exprime le mieux la dominance intellectuelle de l’Occident sur le reste de l’Europe

o       Pareils effets de dominance représentent des effets de structure du champ intellectuel européen et international, dont les conséquences sont toujours perceptibles dans les relations intellectuelles des pays de l’est du sud en maintes domaines

 

o       2. Contraintes financières : les coûts globaux des études supérieures en Occident sont inférieurs à ceux dans le pays d’origine : débordement de la demande d’études nationales sur l’étranger pour raisons de cherté          

§         C’est un cas moins rare qu’on ne le pense au premier abord

§         Deux cas spécifiques : Etats de l’Est envoyant des étudiants en Occident avec des bourses en imposant les directions et les visées des études (spécialités, diplômes à obtenir)

·         Il s’agit ici en apparence d’incitations positives en vue d’une mobilité intellectuelle soutenue par les Etats neufs, qui pourtant constituent des contraintes au sens de la fixation autoritaire des visées et des limites des études, ainsi que par l’obligation de servir par la suite l’Etat financeur

§         Cas des candidats aux études des régions hongroises de l’Ouest, limitrophe de l’Autriche, pour qui les universités autrichiennes (Vienne, Graz) sont plus proches et mieux accessibles que les facultés hongroises.

 

o       3. transferts contraints dans des universités occidentales par suite de la suppression ou inexistence de centres d’études propres a une collectivité culturelle dans le pays d’origine, en particulier d’une collectivité nationale en puissance dont émane une importante demande d’études:

§         un cas classique est représenté par la Russification de l’Université germanique de Dorpat à la fin du 19e siècle, ce qui pousse bien des étudiants ou candidats aux études de culture germanique dans les pays baltiques (qu’ils soient estoniens, lettons ou litouaniens) à continuer ou à entreprendre leurs études en Allemagne, au lieu de rester sur place.

§         Des cas plus typiques et plus fréquents sous ce rapport s’offrent dans le départ en Occident d’étudiants polonais, ukrainiens, baltiques  et appartenant à d’autres minorités de l’Empire Russe, afin d’éviter des études en Russe placées sous le contrôle des autorités tzaristes 

·         Dans ces choix préférentiels pour l’Occident, outre les différences qualitatives d’études, s’objective également une option civilisationnelle voire politique pour des démocraties occidentales aux libertés publiques larges et pour des études soustraites aux restrictions tsaristes (liberté d’association a base nationale, ethnique ou religieuse, liberté de lecture, d’information, etc.)

 

o       4. une forme atténuée de contrainte d’un ordre semblable – revenant à un choix préférentiel - marque l’option pour l’Occident des étudiants issus de diasporas d’origine ou et de parenté culturelle occidentale (qu’il s’agisse de parentés historiques ou de parentés d’adoption) dans le but d’affirmer ou d’affermir une identité propre ou d’assurer un choix identitaire satisfaisant. Il y a plusieurs cas typiques en Europe :

§         Celui des Allemands des pays de l’Est et le mieux connu et le plus visible, qu’il s’agisse des descendants de la noblesse germanique balte, des Allemands de la Volga, des Saxons de Transylvanie ou – de facon plus générale – des minorités luthériennes (d’origine souvent germanique) dans les pays catholiques ou orthodoxes, qui partent pour faire leurs études en Prusse (pays à majorité luthérienne), au lieu des universités russes, polonaises (de Galicie), voire hongroises.

·         Les statistiques d’étudiants étrangers en Allemagne démontrent dans l’entre-deux-guerres que la majorité absolue (!) des étudiants des pays de l’Est étaient à cette époque de langue maternelle allemande

o       De telles données pouvaient, certes, être gonflées sinon faussées par le fait que bien des Juifs yiddichisants de l’Est pouvaient se déclarer comme étant de langue maternelle germanique

§         Un autre cas, assez typique partout dans les pays de l’Est et du Sud (y compris la Grèce et l’Egypte, très marqué en Bulgarie, en Roumanie ou en Russie) est représenté par des étudiants qui, ayant recu une éducation de base (surtout un enseignement secondaire) en français ou en allemand, partent ’naturellement’ faire leurs études supérieures dans une université germanique ou francophone.

·         Il s’agit d’un public allogène mais éduqué dès l’abord à l’occidentale et préparé, préposé et de la sorte sur-motivé à faire des études en Occident.

·         On peut classer des fils des Juifs séphardim (de Salonique et – plus généralement - de Grèce, d’Egypte ou de Turquie), parlant souvent une langue latine propre (le ladino), qui ont développé une affinité élective à l’égard de la France (comme pays de la première émancipation) et de la civilisation française (au titre de civilisation para-latine appentée à la leur propre)

·         Quoi que cela puisse paraître paradoxale, retrospectivement, mais les Juifs ashkénazes de l’Est ont développé dès le début de la Haskalah berlinoise (’Lumières juives’, initiées par Moses Mendelssohn au 18e siècle) un culte en quelque sorte ’téléologique’ de la civilisation grande allemande, un horizon à poursuivre et constamment indépassable dans l’entreprise de modernisation de la société ashkénaze.

o       D’où l’attachement des élites juives sécularisées à la langue, à la science, aux lettres classiques (Goethe, Schiller), à la musique (Wagner) et d’autres produits culturels germaniques.

o       Les Juifs allemands plus ou moins assimilés ont fourni, des Moses Mendelssohn lui-même (un ami de Lessing), avec le musicien Félix Mendelssohn-Bartholdy, le poète Heine, Marx, puis Mahler, Freud Wittgenstein, etc. certains des héros culturels universellement cotés du monde germanique.

o       Le premier moment historique de l’acculturation des Juifs ashkénazes, leur entrée dans la modernité, a été de fait accompli par le biais de la germanisation (en Pologne, en Hongrie ou dans les pays tchèques, sans parler des régions proprement germaniques de l’Europe Centrale)

o       Une des conséquences en fut le choix préférentiel des Juifs de l’Est pour les universités germaniques, au moment ou se développe leur demande d’études supérieures.

 

o       5. Mais la plupart des étudiants juifs qui peuplent les bancs des universités occidentales depuis le 19e siècle finissant arrivent en Occident par suite de contraintes plus plus drastiques, et bien moins par choix préférentiel : leur exclusion des études de Russie par suite du numerus clausus instauré en 1887 : c’est donc l’arrivée des ’exclus’ ou des ’handicapés sociaux’

§         Dans l’entre-deux-guerre la Hongrie (par loi de 1920) et d’autres pays de l’Est instaurent des mesures variables de restrictions anti-juives dans leur haut enseignement, ce dont la sévérité s’accroît avec la montée du Nazisme (depuis 1933)

§         Le numerus clausus n’est toutefois que la forme la plus brutale des efforts d’exclusion, de refoulement ou de restriction que subissent les candidats juifs aux études dans les pays de l’est, même les plus libéraux (comme l’Empire des Habsbourg) :

·         En Russie ou en Roumanie l’accueil des étudiants juifs se fait souvent de mauvaise grâce par les autorités universitaires locales dès avant 1914

o       Harcèlements et agressions physiques organisés par des étudiants antisémites deviennent ordinaires et parfois quotidiens dans les facultés des pays de l’Est dans l’entre-deux-guerres. Les étudiants antisémites forment de véritables commandos anti-juifs militantes (parfois proprement meurtriers, comme en Roumanie) depuis 1918. La Pologne, la Hongrie et l’Autriche sont également touchées par ces violences universitaires anti-juives.

·         Exclusion des Juifs des corporations estudiantines (Autriche, Pays tchèques, Allemagne) se fait depuis les années 1880 partout en Europe Centrale (y compris l’Allemagne et l’Autriche)

o       Ex. cas de Theodor Herzl à Vienne

·         discrimination tacite lors d’octrois des bourses ou des exemptions des frais d’études

·         ’double structure’ des chances professionnelles : sévères restrictions imposées aux diplômés juifs (Hongrie, Autriche, Allemagne) ou leur exclusion de fait (sinon de droit) des marchés professionnels contrôlés par les pouvoirs publics (du professorat secondaire et supérieur, des positions dans l’administration, des carrières politiques, voire parfois du barreau – en Roumanie et pendant longtemps en Russie).

 

§         C’est donc la situation faite aux Juifs de facon plus générale dans l’Autre Europe (très différemment toutefois selon les pays !) qui est a l’origine de l’arrivée en masse d’étudiants juifs dans les universités occidentales.

- Ces pérégrinations n’ont donc souvent pas la même signification que pour d’autres étudiants étrangers dans la mesure où très souvent (après 1918 le plus souvent) elles s’inscrivent également dans des mouvements d’émigration stratégique

§         Les étudiants juifs de l’Est dans les universités occidentales envisagent de moins en moins de rentrer chez eux, surtout après 1919…

§         Souvent leurs études et l’acquisition d’un diplôme en Europe de l’Ouest ne fait que préparer la suite de leur trajet migratoire vers l’Amérique, d’autres pays d’outre mer, voire

      la Palestine…

 

o       6. Il y avait toutefois dans les universités occidentales pour gonfler les effectifs des étudiants étrangers deux autres types „d’exclus” de leur système d’enseignement d’origine :

 

§         Les exclus plus ou moins „volontaires” pour raisons politiques : révolutionnaires, bundistes, dissidents politiques (surtout russes)

·         Ex. Lénine et co. à Zurich

 

§         les étudiantes (femmes)

·         admission plus tardive des femmes aux études dans l’Est que dans les universités suisses et françaises (moins en Allemagne – vers 1900-1910 – ou en Autriche-Hongrie – 1895)

o       système séparé d’études supérieures privées pour femmes en Russie

·         je m’y étends pas ici, puisqu’il y a dans cette salle des collègues plus compétents pour en donner des détails

 

Toutes ces situations de contrainte n’auraient toutefois pas pu avoir des effets aussi spectaculaires, manifestés dans l’arrivée très nombreuse d’étudiants en Occident au tournant du 19e au 20e siècle (du moins en beaucoup plus grand nombre que tout au long du siècle auparavant), si d’autres conditions socio-historiques n’avaient pas été réunies. Celles-ci peuvent être évoquées en quatre points :

 

-          1. Ecart différentiel croissant entre les niveaux de développement et/ou de modernisation des états de l’Est et de l’Ouest dans la première phase de la „grande transformation” des sociétés de type européen

o       L’Ouest s’embourgeoise et se modernise rapidement quand, jusqu’aux dernières décennies du long 19e siècle, l’Est reste rural, traditionnel, semi-féodal, aux institutions, droit coutumier et rapports d’autorité archaïques malgré la modernité apperente des constitutions des Etats (copiées souvent sur celle de la Belgique)

o       cela revient au renforcement de la domination de l’Occident pendant toute la longue conjoncture de la révolution industrielle, d’où les politiques de rattrapage et d’imitation mises en oeuvre par les élites des nouveaux Etats nations

o       la création d’universités nationales neuves dans les pays de l’Est fait partie de ce programme : ce qui, sans diminuer l’écart, n’a fait que d’augmenter la demande d’études supérieures supplémentaire à l’étranger

o       des effets de domination s’observent dans les relations internationales, économiques, intellectuelles et autres (par exemplée la valeur de modele du mode de vie urbaine et de l’aménagement des grandes villes occidentales, comme Paris, Londres, Berlin ou Vienne)

o       la domination occidentale s’affiche et s’objective dans l’organisation des échanges Est-Ouest, surtout dans les champs politique et économique, mais aussi, spécifiquement, dans la production intellectuelle depuis les années 1860, ce qui ne s’était pas fait auparavant

§         ex. politique de puissance ouvertement appliquée par les Puissances (sous entendu ’occidentales’) dans la création et reconnaissance internationale des nouveaux Etats nations dans les Balkans (congrès de Berlin de 1878)

§         expositions universelles toujours dans les grandes villes occidentales,

§         congrès internationaux (tenus surtout en français),

 

-          2. La demande d’études en Occident par les candidats provenant des nouveaux Etats nations (pays périphériques) s’accroît spécifiquement pour des raisons sociologiques qui renforcent le statut social des diplomés et le caractère socialement fonctionnel des études :

o       historiquement - pour la première fois - les compétences intellectuelles certifiées par des titres universitaires commencent à devenir fonctionnelles dans le développement des sociétés en mal d’industrialisation et de modernisation

§         besoin de professionnels de carrière à la compétence certifiée pour la gestion des entreprises (ingénieurs, agronomes), l’urbanisation accélérée (architectes, ingénieurs civils), l’infrastructure scolaire (professeurs, instituteurs), administration de l’Etat (juristes),  etc.

·         la médecine, essentiellement palliative jusqu’au 18e siècle, devient un facteur puissant de la diminution de la mortalité

§         auparavant les métiers intellectuels n’étaient pas professionalisées avec des compétences codifiées et certifiés (sauf dans les Eglises)

§         désormais même le métier des armes (jadis réservé à des amateurs attitrés - à la noblesse, pour l’essentiel)  se professionalise grâce à la formation des officiers dans les Ecoles militaires.

 

o       avec le passage ou l’effondrement de l’ancien régime les titres universitaires contribuent également de plus en plus à la légitimation de l’élite politique (en remplacement ou en complément des titres de noblesse)

§         ceci est tout nouveau, propre aux sociétés post-féodales, ou les titres universitaires tendent a remplacer les titres de noblesse

 

- ce développement conduit a la professionalisation des métiers intellectuels, c’est a dire a leur constitutions comme groupes de statut professionnels dotés du droit à une certaine auto-gestion corporative légalement reconnue selon les règles négociées avec l’Etat. La professionalisation réhausse le prestige social, les revenus et l’influence collective des diplômés dans les élites, d’où l’attrait historiquement inédit de la scolarisation supérieure.

- les diplômes occidentaux, voire les seuls semestres passés à l’étranger, réhaussent systématiquement la valeur attribuée à la formation intellectuelle recue dans les pays de l’est, en fonction de la croyance générale – maintenue dans les élites - dans la supériorité des institutions universitaires occidentales

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-          3. modernisation différentielle et sur-scolarisation de certaines minorités ethniques ainsi que de certains autres groupes nationaux des trois Empires de l’Est et du Sud. Ce surcroît de demande d’étuses se déborde sur l’Occident (pour des raisons de contrainte et de choix stratégique historiquement variables)

o       cela vaut de façon spectaculaire pour les Juifs dont le potentiel intellectuel hérité (tradition des hautes études pour les hommes, alphabétisation et multiulinguisme généraux, intellectualisme religieux) se double de besoins de scolarisation laïque spécifiques à l’issue du processus de sécularisation

§         en tant que voie d’assimilation culturelle et d’intégration dans les sociétés majoritaires nationales

§         en tant que mode d’accès à la modernité, dont le modèle est offert par l’Occident

§         l’attrait de l’Occident (pour études mais aussi en tant que but d’émigration) se fond évidemment souvent (en Russie, par exemple, ou vivent les trois-quarts des Juifs du monde au 19e siècle) sur le différentiel de démocratisation, d’émancipation et de tolérance entre l’Est et l’Ouest

§         on n’aurait pas eu autant de Juifs dans les universités occidentales depuis 1890 sans les discriminations subies en Russie, en Roumanie et ailleurs

 

o       cela vaut aussi, dans une mesure moindre, pour certaines d’autres minorités à capacité de modernisation particulière : des Allemands de l’Est, Arméniens, Luthériens en pays catholique ou orthodoxe, etc.

o       Cela vaut à un degré encore moindre mais, tout de même significatif pour des élites nationales attitrés disposant d’un large réseau d’écoles secondaires classiques (Galicie polonaise, Hongrois) depuis la Réforme et la Contre-Réforme

§         Ex. la Hongrie sous-développé produit vers 1900 autant de bacheliers par classes d’âge concernées que la France…(vers 1870 elle devait en produire relativement plus…)

 

-          4. Enfin le dernier facteur global de l’arrivée massive d’étrangers dans le haut enseignement occidental réside dans la modernisation accélérée des systèmes universitaires occidentaux sous les rapports suivants :

o       Modernisation et nationalisation du haut enseignement, commencés au début du 19e siècle, ce qui augmente l’attrait spécifique des universités occidentales

§         Passage aux langues d’enseignement nationales, d’où attrait distinctif des universités francophones et germanophones en vertu de leur seule langue d’enseignement

·         Compétition entre la francophonie et la germanophonie en Roumanie, Bulgarie, Serbie et Russie, etc.

§         Sécularisation : abolition des barrières religieuses dans l’accès aux universités occidentales

§         Réformes républicaines de l’Université napoléonienne depuis 1878

§         Triomphe du modèle humboldtien de l’université de recherche dans le monde germanique (aux répercussions lointaines en Amérique, en Angleterre et ailleurs)

 

o       l’organisation de leur accueil et la compétition virtuelle qui s’instaure entre Etats et universités pour des parts de marché représentées par des étudiants étrangers

§         Les universités suisses n’auraient pu que végéter sans l’afflux d’un public étranger (surtout des étudiantes)

§         En France dès après l’autonomie accordée aux réunions des facultés opérant dans une ville (création d’universités en tant que personnes morales, 1896), les nouvelles universités proposent de nombreux instituts de formation technologique spéciaux et des programmes d’études de français spécialement destinés à satisfaire une demande émanant d’étrangers

§         Certaines petites universités françaises de province (Grenoble, Aix, Lille, Dijon) en profitent pour augmenter leurs effectifs, jadis fort maigres, voire insignifiants (pas d’étudiants permanents, sauf publics mondains)

§         on commence à négocier des systèmes de bourses offertes tantôt par des pays d’accueil, tantôt par des pays d’envoi – ce qui gonfle également les effectifs d’étrangers en Occident

§         cela vaut surtout pour la France, moins pour l’Allemagne (où des mouvements d’étudiants xénophobes minimisent les effets des politiques d’accueil)

§         toutefois, l’Allemagne profite sous ce rapport du fait que l’organisation semestrielle du curriculum, identique en Suisse alémanique et en Autriche-Hongrie (avec des universités jusqu’a Czernovitz, Lviv-Lemberg), en fait un pôle d’attraction naturel dans un marché universitaire débordant largement les frontières étatiques de l’Empire allemand.