Victor Karady

 

Les fonctions idéologiques des statistiques confessionnelles et ethniques dans la Hongrie post-féodale (1867-1948)

 

         Historiquement, si la réflection sur la nature des sociétés et du lien social remonte a l’antiquité, l’émergence des sciences sociales spécialisées est relativement récente. Elle peut être datée à la naissance des sociétés industrielles, ce qui va de pair avec l’avènement des Etats nations. Il s’agit de disciplines grandement auto-référentielles qui, pour se placer dans le système des sciences, devaient définir limitativement leurs objets, leurs méthodes et leurs relations avec les autres préoccupations à prétention savante dans le champ intellectuel, ainsi qu’établir leur propre marchés de production et de diffusion, les instances institutionnelles de promotion et de légitimation de leurs produits. Les sciences sociales, voire les sciences humaines associées (telles la psychologie expérimentale ou la psychanalyse) étaient toutes issues du besoin de répondre aux problèmes de la modernité surgis dans les sociétés ouvertes, qui avaient réussi à éliminer les séquelles politiques, économiques et culturelles de la féodalité et les effets de cette formation sociale à tous points de vue ’fermée’.

 Toutefois, c’est aussi la période, on le sait, de la consolidation des Etats nations avec des populations culturellement homogènes ou en voie d’homogénéisation et aux des frontières fixées sur de longues périodes sinon immobiles. Ce processus, comportant la nationalisation progressive de l’espace géopolitique, s’achève en Europe avec le long 19e siècle, mais ses débuts peuvent être identifiés dès la Paix de Westphalie (1648). Celle-ci consacre en effet la division presque définitive de la moitié occidentale de l’Europe en Etats à dominante soit catholique, soit protestante. Au cours du long 19e siècle les parties centrale, méridionale et orientale de l’Europe rejoindront le rang des Etats nations, le plus souvent d’ailleurs sous la tutelle des puissances occidentales. Celles-ci, par exemple au Congrès de Berlin (1878), statuent sur la transformation des derniers territoires arrachés à l’Empire Ottoman en Etats balkaniques appartenant à la chrétienté orientale. D’autres Etats similaires, surgissant seulement à l’issue de la Première Guerre Mondiale par suite du démembrement des empires habsburgeois, russe et allemand (Pologne, Tchécoslovaquie, Yougoslavie, Etats Baltes, Finlande, Ukraine), doivent leur formation aux actions plus ou moins clandestines de divers mouvements ’d’éveil nationaliste’, tout autant qu’à un retournement de conjoncture géopolitique et militaire. Quant à la monarchie politiquement dès l’abord bicéphale des Habsburgs, empire d’abord absolutiste et centralisé, elle a connu une ’régionalisation’ graduelle depuis les années 1860 pour les affaires intérieures des différentes provinces. Cela devait assurer l’indépendance étatique quasi complète de la Hongrie (1867) et de la Croatie (1868), tandis qu’ailleurs les aspirations nationalistes pouvaient s’exprimer dans les assemblées régionales élues (particulièrement actives en Bohème et en Galicie polonaise). 

            Ces rappels historiques sont indispensables pour introduire le survol, proposé ici, des mutations observables dans les fonctions idéologiques des satistiques sociales en Hongrie. Le sort de celles-ci a été en effet partout lié au développement des Etats nations. La saisie d’informations objectivées sous forme de données statistiques nécessitait un appareil institutionnel que, pendant longtemps, seuls les Etats étaient à même de bâtir et d’entretenir, lesquels Etats en furent, en même temps, les principaux commanditaires et usagers : les statistiques sociales devaient éclairer les décideurs sur les problèmes de société et servir ainsi concrètement ou indirectement à des fins de gouvernance. Or, l’on verra qu’une des particularités les plus flagrantes des statistiques sociales hongroises n’était autre que l’extrême attention portée aux faits religieux et ethniques, mais aussi régionaux. Certaines des données ainsi recensées se retrouvent sans doute également dans d’autres systèmes statistiques de l’Europe centrale et orientale, notamment dans les provinces habsburgeoises ’cisleitaniennes’. Mais l’infrastructure statistique de la Hongrie a tôt fait de les dépasser dans le raffinement des observations rattachées aux cultes, à l’ethnicité et aux régionalismes. Pour interpéter cette situation, il faut se souvenir des conditions uniques en Europe et de par le monde dans lequelles s’est formé l’Etat nation hongrois.

 C’est en effet le seul Etat moderne où l’élite nationale ’titulaire’, préposée à la construction de l’Etat, ne représente qu’une minorité sur le plan ethnique, une minorité d’environ deux-cinquièmes de la population. (Cartledge, B. 2006, 160, Niederhauser, E. 2000, 82, Janos, A. 1982, 11 )[1] L’ethnie ’titulaire’ magyare est en revanche très majoritaire dans l’ensemble de la noblesse, à concurrence de 85 % vers 1839, mais minoritaire dans l’aristocratie titrée aux réseaux familiaux souvent cosmopolites, et dans élite éduquée roturière (qualifiée d’honortiors). (Janos, A. 1982, 19, 78-79.) De même c’est la seule société issue de la Contre-Réforme sans majorité religieuse absolue, l’Eglise catholique romaine – qui a fait pendant longtemps fonction de religion d’Etat – ne renfermant guère la majorité statistique de la population. La majeure partie en reste dispersée entre Protestants de diverses obédiences, Chrétiens orientaux et Juifs. (Janos, A. 1982, 6[2].) Or les séquelles de la contre-réforme ont maintenu des relations à bien des égards conflictuelles entre les Eglises, d’où l’enjeu politique des rapports de forces confessionnelles. Ces complexités ethniques et confessionnelles s’inscrivent avec force dans les divisions historiques du territoire, qui apparaîssent comme beaucoup plus marquées que dans la plupart des formations étatiques comparables. La Transylvanie par exemple (y compris les parties voisines de la Plaine centrale dites ’Partium’), jadis principauté autonome par rapport au royaume de Hongrie, est administrée séparément du reste du pays jusqu’en 1867. La majeure partie de la plaine centrale et de la Transdanubie (Ouest) avait été conquise et occupée par les Ottomans au prix de guerres quasi constantes du 16e jusqu’à la fin du 17e siècle. D’où une dépopulation, la rupture de continuité dans la vie urbaine et des actions de repeuplement consécutives (par migrations intérieures et par immigration de l’étranger organisée par le gouvernement impérial ou par l’aristocratie terrienne locale au 18e siècle), ce dont les effets lointains n’ont cessé de marquer ces régions de leur sceau au dernier siècle encore. (Cartledge, B. 2006, 83-165.)

Si l’on peut aisément identifier l’impact de ces singularités dans le paradigme des statistiques sociales développé en Hongrie et qui s’est organisé dès l’abord pour partie à l’encontre des usages occidentaux, ce paradigme connaîtra des transformations considérables dans le temps et assumera des fonctions idéologiques également inconnues dans les démocraties occidentales. Alors que les services statistiques de celles-ci tendent à supprimer très tôt en Europe de l’Ouest et du Nord, ainsi qu’aux Etats-Unis (en France après 1872 et en Angleterre après 1861 par exemple) toute collecte officielle de données confessionnelles, il ne suffit pas d’évoquer les lenteurs (toutes relatives) de la sécularisation pour interpréter la persistence des statistiques religieuses en Allemagne, en Russie, en Hongrie ou ailleurs dans la Monarchie des Habsburgs. Un semblable constat s’applique à la quasi absence des références ethniques dans les statistiques occidentales.[3] Le défaut de celles-ci dans les données officiellement recueillies par exemple en France depuis la Révolution répond manifestement à la fiction idéologique de l’Etat nation en principe unitaire, maintenue sous les régimes politiques différents au 19e siècle et après. (Desrozières, A. 1989,  33.) La conception de la nation politique, formée par les citoyens égaux nés dans le territoire étatique, prévaut dans la Hongrie libérale d’après 1867 aussi, mais l’identité ethnique et confessionnelle continue à représenter un tel enjeu dans la vie publique qu’elle est conservée parmi les indices de définition des individus dans l’état civile et les statistiques des personnes agrégées (qu’il s’agisse des champs démographique, économique, scolaire ou autres) y comportent des références détaillées. Cette mine de données d’une valeur exeptionnelle pour l’historien social sera présentée ici en abrégé, à partir de son élaboration historique, dans le seul but de montrer comment cette ’tradition nationale’ érudite répondait à l’évolution des rapports de pouvoir et – avec le temps, de plus en plus - aux phantasmes idéologiques des élites dominantes dans un Etat nation en mal de modernité politique.

            Les débuts des statistiques sociales remontent en Hongrie – comme ailleurs – à l’initiative personnelle de savants combinant des curiosités d’historien, de géographe et de politiste - au sens d’intérêt pour l’administration de l’Etat. Le premier érudit important de ce genre fut Mathias Bél (1684-1749), théologien luthérien, auteur d’une volumineuse encyclopédie de géographie historique descriptive du royaume,[4] qui prend appui sur les dénombrements existants de populations portant sur la seule paysannerie asservie. Le premier recensement quasi moderne intervient sous le règne de l’empereur réformateur Joseph II en 1785-87. Ses principaux résultats seront présentés sur la partie hongroise de l’Empire sous forme de banques de données chiffrées par Márton Schwartner (1759-1823), alors professeur de ‘diplomatique’ (spécialiste des chartes et des blasons) de l’Université de Pest.[5] On regarde son travail comme le premier ouvrage de statistique véritable en Hongrie, alliant les techniques de recherche de ‘l’arithmétique politique’ à l’anglaise avec la méthode descriptive déjà utilisée dans les universités allemandes,[6] bien que les intérêts intellectuels de son auteur aient été très diversifiés. Mais le premier statisticien de profession sera un juriste cultivé Elek Fényes (1807-1876), appartenant à l’aile réformatrice de la noblesse.[7] Ses publications offrent une description statistique minutieuse de chaque commune du royaume avec l’indication des surfaces cultivables, des bâtiments remarquables (châteaux, manoirs, églises) et du nombre d’habitants selon leur occupation, nationalité (ethnie) et confession . Son rôle aux diètes (assemblée des nobles) du Vormärz (appelé en Hongrie ‘Ere des réformes’) n’est pas étranger de sa nomination à la direction du premier Office National de Statistique en mai 1848. C’est le gouvernement indépendantiste, issue de la Révolution de Mars de la même année, qui met en place cette agence aux larges compétences dés son accession aux affaires. Si cet office connaîtra un destin aussi éphémère que le régime révolutionnaire qui l’a fait naître, Fényes continuera ses travaux avec des hauts et des bas, pour présider à partir de 1860 une Commission Statistique de l’Académie des Sciences. Un de ses derniers ouvrages portera sur les nationalités de l’Etat multiethnique,[8] définissant l’intérêt privilégié qu’accorderont désormais les services statistiques du pays aux faits d’ethnicité et de sous-cultures religieuses.[9] La répression absolutiste, qui suit la chute du régime révolutionnaire en juillet 1849, n’arrête pas le développement de la discipline statistique qui aura droit dès 1854 à une chaire spéciale à la Faculté juridique de l’Université de Budapest, confiée à Sándor Konek (1819-1882), juriste d’origine roturière (et probablement slovaque), spécialiste également de droit de canon.[10] Son successeur dans la chaire sera Béla Földes (1848-1945), un économiste d’origine juive.

A la suite de ces préalables, l’institutionnalisation étatique de la statistique sera réalisée immédiatement le Compromis avec l’Autriche (1867) et le rétablissement de la légitimité constitutionnelle de la Hongrie au sein de la Monarchie des Habsburgs[11]. Deux instituts de statistique officiels seront créés, l’un sous l’égide de l’Etat et l’autre – séparé et passablement autonome - pour la ville capitale.[12] L’Office National de Statistique sera présidé par Károly Keleti (1833-1892)[13], un journaliste cultivé d’origine allemande et roturière[14] protégé par la famille de l’ancien vice-roi et du baron Jozsef Eötvös (grande personnalité du nationalisme libéral, ministre de l’éducation et des cultes en 1848 et après 1867). Directeur de la nouvelle institution nationale (1871), Keleti organisera le premier dénombrement de population de l’Etat libéral en 1870, contribuera à la consolidation des assises administratives des collectes de données statistiques (loi nr. 25/1874) et sera maître d’oeuvre pour introduire les fiches individuelles au recensement de 1880. Il lui revient d’affermir la légitimité de la nouvelle discipline et de ses organismes d’exercice en tant qu’émanations du nouvel Etat nation. Dans ses textes programmatiques il n’hésite pas à opposer les statistiques impériales de jadis, desservant les curiosités de la bureaucratie impériale, à la pratique qu’il inaugure dans ‘l’intérêt national’.

Le Bureau Statistique de Pest (1870), rebaptisé en 1873 ‘Bureau statistique de la capitale résidentielle de Budapest’, sera également confié à un autodidacte de génie, József Kõrösy (1844-1906), Juif d’origine qui sera ennobli en reconnaissance de ses activités scientifiques. Son successeur sera Gustav Thirring (1861-1926). A l’image du nationalisme intégrateur règnant, ce sont donc manifestement des spécialistes ‘assimilés’ de souche allogène qui présideront les premiers à l’élaboration du canon scientifique de la discipline statistique en Hongrie. Leurs origines socio-culturelles peuvent peut-être reliées à l’intérêt privilégié qu’ils auront porté aux variables ‘particularistes’ (ethnicité, religion, région) dans la grille de lecture des caractéristiques des populations dont ils prennent en charge la description. Cela n’a rien d’exceptionnel dans la Hongrie moderne où le militantisme nationaliste fut souvent porté par des membres ethniquement néophytes des élites, qu’il s’agisse de bureaucrates comme ici, de chefs militaires (Szakály, S. 1987, 20-58) ou de princes de l’Eglise. (Janos, A. 1982, 232, Gergely, J. 1992, 51-52.)

Ces premières démarches pour l’institutionnalisation de la discipline statistique seront vite confirmées par l’adjonction d’une classe ‘d’économie nationale et de statistique’ à l’Académie des Sciences, par la création d’une rubrique permanente de statistique dans la Revue économique /Közgazdasàgi szemle/ et par l’inauguration de cours de statistique sous l’égide de l’Office national (1868). Les deux offices complémentaires auront des séries de publications spécialisées de plusieurs sortes. Ce sont des annuaires d’abord centrés sur des thèmes particuliers, puis - depuis 1893 pour l’Office National[15] et depuis 1894 pour l’Office de Budapest[16] - avec une portée thématique parallèle mais pas toujours identique et en constant élargissement. Pour en illustrer la gamme, voici les chapitres retenus dès l’abord dans les ‘nouvelles séries’ des annuaires statistiques :

 

Office National de statistique                   Bureau de Statistique de Budapest

 

1.      Administration publique                           1. Conditions physiques

2.      Climat                                                       2. Topographie

3.      Territoire, population                                3. Habitat, conditions de logement

4.      Mouvement de la population                    4. population présente

5.      Santé publique                                          5. Mouvement de la population

6.      Agriculture                                                6. Santé publique

7.      Mines                                                         7. Agriculture

8.      Industrie et commerce                               8. Industrie et commerce

9.      Commerce extérieur                                  9. Transports

10.  Transports                                                10. Crédits

11.  Monnaie et crédit                                     11. Constructions

12.  Dommages d’incendie                             12. Approvisionnement public

13.  Force militaire                                          13. Instruction publique et affaires culturelles

14.  Finances de l’Etat                                     14. Philantrophie publique

15.Sécurité

                                                                        16. Impôts

                                                                   17. Economie municipale

 

Ces annuaires seront complétés par d’autres publications sérielles ou individuelles. Une loi spéciale (1897/ 35) relative à l’obligation de publicité de certaines données recueillies par ses services, le gouvernement s’est obligé à présenter chaque année au Parlement un compte rendu de ses activités, accompagné d’abondants matériaux statistiques (série ininterrompue de 1898 à 1941). Séparément, le Ministère de l’Education et des Cultes aussi a publié pour son compte de 1870/71 à 1896/7 d’importants Rapports statistiques, avant que la matière n’en soit inclue, pour l’essentiel, dans les Annuaires statistiques de l’Office National, devenu en 1897 Office Central de Statistique. Les deux grandes agences de statistique auront également sorti, tout au long de leur carrière ininterrompue jusqu’à la fin de l’ancien régime (pratiquement jusqu’à 1948), des ouvrages comportant les résultats de travaux très spécialisés aussi, réalisés par leurs principaux collaborateurs, sur les grands thèmes des statistiques nationales[17] (démographie, morbidité, stratification socio-professionnelle, criminalité, éducation, offre culturelle, habitat, production, commerce, consommation, etc.). Enfin, il y a des revues érudites et des publications hors série proprement statistiques ou remplies de travaux à forte référence statistique plus ou moins liées aux deux agences. Le bureau de Budapest publie par exemple de 1878 à 1949 sous des titres variables des Cahiers mensuels de statistique de la capitale. Une revue municipale à forte composante statistique (Vàrosi szemle – 1908-1948) se destinera à l’attention d’un public cultivé large. La Revue hongroise de statistique (fondée en 1923 comme l’organe d’une Société du même nom) survit toujours. En 1912 on sort une somme énorme de Statistique des villes hongroises et, dans l’entre-deux-guerres, il y aura entre autres des ‘livres de poche statistiques’ aussi à l’usage du grand public.  

Cette expansion dynamique des services statistiques du pays leur garantit un accès sans encombre sur le marché international de la production statistique qui s’organise depuis le milieux du 19e siècle. Les deux agences se feront représenter avec force aux instances internationales. Cela ajoute à coup sûr à la visibilité de leur activités. Le Congrès International de Statistique de 1876, le dernier avant la fondation de l’Institut International de Statistique, sera convié à Budapest[18] - la première (et dernière) fois dans cette partie de l’Europe après Bruxelles, Paris, Vienne, Londres, Berlin, Florence, La Haye et St Petersbourg. (Kármán, I . 1966, 740.) Les statisticiens hongrois seront présents en 1885 aux célébrations des anniversaires des deux premières sociétés de spécialistes (de Paris et de Londres). En 1887 il y aura trois hongrois sur les 27 qui fondent à Rome l’Institut International de Statistique, soit la délégation la plus étoffée après les deux pays initiateurs (France et Allemagne). (Kármán, I. 1966, 750.) Les congrès et l’Institut, suscités sur l’impulsion de Quètelet – inventeur du raisonnement sur les moyennes et faisant alors autorité dans le champ des études statistiques (Stigler, S . 1986, 169-172) - ont joué un grand rôle dans la standardisation inter-étatique des saisies statistiques des données observées sous forme de listes ouvertes. (Desrozières 1998, 155-156.) Les pays hôtes des réunions pouvaient d’ailleurs proposer des thèmes de discussion particuliers. Il n’est pas dû au hazard que la commission des statisticiens autrichiens ait mis, entre autres, sur l’agenda du Congrès de Vienne (1857) les problème de la propriété terrienne et des différences ethnographiques au sein des Etats. (Patriarca, S. 1996, 216-217.) Ces thèmes seront encore rediscutés à Budapest en 1876. 

La dualité des services statistiques inaugure une compétition virtuelle entre les deux agences qui aboutira à d’intéressantes innovations et à un certain décalage dans la définition des objets statistiques. Le Bureau de Budapest organisera chaque cinq ou six ans des dénombrements spéciaux sur des sujets d’intérêt local entre les recensements en principe décennaux de 1870 à 1949.[19] Il introduira la saisie des données sur fiches individuelles dès le recensement de 1869 (pour être suivi par l’Office National dix ans après). Des sujets comme l’approvisionnement alimentaire de la population, les loyers, les impôts et taxes divers, la propriété des âtiments et les conditions de logement, les femmes actives, le chômage, etc. ne seront abordés de facon détaillée que par le Bureau de la capitale dont les services rivaliseront de taille avec l’Office National.[20]. Cette dualité pousse à la production des données parallèles d’une finesse exceptionnelle surtout dans les matières regardées comme ‘politiquement sensibles’, permettant de disposer d’informations distinctes sur le pays entier, sur la capitale et (par déduction) sur la province, à défaut d’informations régionales.

Or les matières sensibles ne manquent pas dans un pays en pleine transformation économique et socio-culturelle. Les raisons en sont identifiables dans une série de changements spectaculaires : la construction de l’Etat (entraînant l’expansion rapide de la fonction publique), la ruine de larges fractions de la noblesse terrienne (Kontler, L. 2002, 268), incapables de la gestion rationnelle de ses propriétés et leur imposant une reconversion souvent difficile dans l’administration (Hanák, P. 1988, 154), l’urbanisation galopante surtout à Budapest, l’industrialisation et ses séquelles liées à la montée des ‘nouvelles couches’ dans les classes moyennes, à la fois parmi les entrepreneurs capitalistes, les cadres privés (strate nouvellement apparue) et les professions intellectuelles (qui forment à cette époque leur identité collective moderne). Le dénominateur commun de ces bouleversements, suivis de près par la classe politique hongroise, réside dans la distribution très inégale selon l’ethnicité, les cultes et l’appartenance régionale des positions et des chances d’accès aux positions dans l’Etat national et dans les nouveaux marchés professionnels. L’Etat certes affiche un libéralisme de principe tout en pratiquant une politique nationaliste de plus en plus conservatrice et militante en faveur des populations de souche magyare et – plus sélectivement – des Hongrois assimilés d’origine allogène. Une véritable ‘lutte culturelle’ (Kulturkampf) se déclenche entre l’Etat et l’Eglise catholique à propos de la législation laïque (dite ‘de politique religieuse’) dans les années 1895-1896 autour de l’introduction du mariage civile obligatoire, l’état civil tenu à la mairie et la ‘réception’ du culte israélite parmi les collectivités confessionnelles soutenues et protégées par l’Etat. La ‘magyarisation symbolique’ de l’espace public sera poursuivie par tous les moyens dans (et après) les années du millennium (1896) – célébration du millénaire de la ‘conquête de la patrie’ par les tribus magyares : dénominations hongroises autoritairement imposées à toutes les communes (indépendamment de l’ethnicité des habitants), noms hongrois donnés aux conscrits allogènes, soutien officiel du mouvement de magyarisation des patronymes étrangers et injonction aux agents allogènes de l’Etat de ‘nationaliser leur patronymes’ sous peine de renvoi (Karady, V. 2002), politique de magyarisation plus ou moins forcée des écoles des minorités allogènes, etc. (Szabó, D. 2001, 115-118 ; Cartledge, B. 2006, 280-283.)  

 Dans cette conjoncture politique longue, qui perdure jusqu’à l’effondrement de la Monarchie Bicéphale en automne 1918, on comprend que les statistiques de l’ethnicité et des confession, ainsi que, subrepticement, les informations de démographie et de sociologie régionales représentent des enjeux sociétaux considérables. Les sources en sont de plus en plus abondantes. Aux recensements il s’agit de caractéristiques de base, définissant le statut social des personnes, sans que la fiction de la légalité devant l’Etat libéral puisse être mise en doute. Les feuilles de recensement demandent régulièrement le lieu de naissance et de résidence, le culte et la langue maternelle ou – depuis 1890 – la première langue d’usage quotidien (de même que les langues parlées), la profession et le niveau scolaire, mais jamais le statut de noble ou de roturier (sauf s’il est signalé dans le titre nobiliaire accolé au patronyme). Mais la religion, la langue maternelle et – souvent – la profession et la résidence des parents sont également inscrites parmi les données de l’état civil qui, depuis 1895, est soustrait aux autorités ecclésiastiques pour être pris en charge par l’administration locale. Par voie de conséquence ces données sont consignées dans la plupart des instances d’enregistrement public des personnes : à l’inscription dans les écoles (de la maternelle aux universités) voire dans les diplômes et certificats, au tribunal, à l’embauche dans la fonction publique (voire dans les emplois privés),  à l’admission dans un hôpital, etc. Cela signifie que les archives ou les publications statistiques hongroises récèlent des références systématiques à l’appartenance ethnique, confessionnelle et régionale de la plupart des collectivités publiquement organisées. 

Pareille identification ethnique et confessionnelle systématiquement poursuivie des populations (ainsi que, incidemment, selon les attaches régionales), qui peut apparaîtra à juste titre comme obsessionnelle à l’observateur extérieur, répond directement aux objectifs de l’Etat nation en voie de constitution. C’est en effet par ce biais que la classe dirigeante hongroise peut contrôler les effets évolutifs de sa politique d’assimilation linguistique et d’acculturation scolaire des minorités, ainsi que suivre – au moyen de la ‘statistique morale’ - les résultats (différentiels selon les groupes en présence) des progrès de la modernisation économique et socio-culturelle. Les points forts des nouvelles séries statistiques inaugurées dans la décennie finissante du 19e siècle s’établissent sous ce rapport autour des questions d’identité linguistique, de démographie, de stratification sociale, de scolarité et des mouvements confessionnels. Les deux derniers recensements de l’époque ‘dualiste’ (1900 et 1910) représentent des monuments exceptionnels du raffinement dans l’observation des faits afférants. Ils seront encore enrichis dans les trois dénombrements successifs de l’entre-deux-guerres, surtout en 1930, et complétés par une série de grandes enquêtes spéciales (sur le chômage, sur les catégories des classes moyennes, sur les femmes actives, sur les étudiants, etc.) portant tantôt sur Budapest seul, tantôt sur le pays entier. 

On comprend que dans l’Etat nation multiethnique à majorité allogène les statistiques linguistiques pesaient d’un poids lourd dans la balance des forces sociales . La première langue parlée définissait le statut ethnique dans la Monarchie Bicéphale et la liste des langues reconnues par l’Etat était aussi limitée que celle des confessions ‘reçues’.[21] On interroge les sujets des recensements et de divers enregistrements (notamment aux inscriptions dans les écoles primaires et secondaires) non seulement sur la première langue parlée mais sur les autres aussi. Cela fournit aux historiens certaines des meilleurs statistiques nationales et régionales (avec des données toujours distinctes pour Budapest) sur l’unilinguisme et le multilinguisme. Dans l’imaginaire nationaliste qui prévalait à l’époque dualiste la légitimité du rôle dirigeant de l’élite magyare dépendait aussi – outre diverses références aux droits historiques et d’autres - du poids numérique de l’ethnie hongroise dans la société. D’où les incitations diverses que l’administration prodiguait en direction des groupes minoritaires en faveur de ‘l’assimilation nationale’ en générale, de la magyarisation ou du moins de la ‘loyauté’ linguistique en particulier. On entendait par là surtout l’exigence présentée aux gens d’origine allogène de se déclarer de langue maternelle hongroise au recensement. Quels n’étaient les signes de satisfaction publiquement exprimés par les pouvoirs publics lorsque, pour la première fois depuis un demi-siècle de politique officielle d’assimilation, le pourcentage des Magyars a dépassé de peu la barre fatidique de la moitié des populations présentes lors du recensement de 1900. C’est un résultat longement attendu, au moins depuis 1844, la loi nr. 2 de cette année faisant du hongrois la langue officielle d’Etat. Dans ce succès tout relatif les contemporains ont eu cependant tendance à oublier deux circonstances qui permettent de le qualifier. Il s’agit d’une part des très fortes inégalités de la magyarisation selon l’ethnicité, les Juifs et les Allemands avec des fractions urbanisées des Slovaques représentant la part de lion des ‘nouveaux Hongrois’, alors que les autres minorités nationales n’ont guère participé au mouvement. D’autre part on fait l’impasse sur les ‘Hongrois volontaires’ - à la langue maternelle en réalité différente, mais qui ont opté pour le statut linguistique magyar soit sous la pression officielle (pesant directement sur ceux qui dépendaient de l’Etat), soit par pur conformisme nationaliste. Beaucoup d’entre ces derniers changeront sans facons d’identité ethnique dans les régions passées sous souveraineté des nouveaux Etats. En Slovaquie par exemple la proportion des Hongrois déclarés baisse de 31 % en 1910 à 21 % en 1920, alors que celle des Slovaques monte à peu près d’autant, de 58 % à 68 %. Dans la capitale, Bratislava/Pozsony les effectifs de Slovaques passent entre les deux dates de 11 673 à 37 038. (Voir Johnson, O. 1985, 23-24.)

En matière de démographie les grilles de lecture et de classement confessionnels et ethniques (par le biais de la première langue d’usage) de l’ensemble de la population sont très généralement appliquées dès le début par les services statistiques officiels. On introduit toutefois progressivement des saisies de plus en plus sophistiquées à la fois de l’état et du mouvement de la population. Dès 1900 on dispose de ce genres de données par sexe et par groupes d’âge simultanément éclatés selon la religion ou l’ethnicité en séries ‘départementales’ – séparément pour les 63 comtés et les 25 villes autonomes.[22] Pour ce qui est du mouvement démographique, signalons d’abord les informations très détaillées sur les naissances (avec séparation des enfants légitimes et illégitimes), sur les enfants issus de mariages mixtes, puis, occasionnellement, sur les incidents et conditions para-natals (morts-nés, avortements spontanés, rang de naissance, âge de la mère, descendance complète des femmes dépassant l’âge de la fécondité), la reconnaissance des enfants illégitimes. Les mêmes grilles d’analyse portent plus généralement à la mortalité par âge, mais aussi à la mortalité infantile différentielle selon la légitimité ou sur les causes de la mort. Les statistiques de la nuptialité ont offert un terrain d’expérimentation aux statisticiens de l’avant-dernier tournant du siècle. Outre des rapports classiques sur le mariage, il y a des données précises sur la mixité matrimoniale (toujours par confession et ethnicité) mais encore des chiffres annuels sur les contrats de mariage comportant références aux choix faits par les fiancés sur la religion de leurs descendance future. On peut évoquer parmi les options confessionnelles à incidence démographique les statistiques des conversions, bon indice des rapports de forces entre Eglises, mais aussi – pour ce qui est des Juifs – (paradoxalement) du mouvement de la sécularisation et des orientations historiquement changeantes de leurs assimilation et intégration sociale. (Janos, A. 1982, 181.)

 Les collectes de données ethnico-religieuses peut-être les plus exceptionnelles - parce qu’elles portent éclairage sur des traits structurels profonds de la société - touchent à la stratification socio-professionnelle et à la scolarisation - voie royale de la mobilité sociale à l’époque de la modernisation de l’Etat nation. Les deux sont d’ailleurs étroitement liées dans la pratique des collections statistiques, puisqu’aux recensements on demande des informations détaillées sur la branche d’activité ou le métier exercé et sur le statut professionnel, mais la profession du père ou du gardien est également objet d’une consignation régulière aux inscriptions scolaires. Si la gamme des catégories socio-professionnelles utilisée a beaucoup évolué dans le temps, ces classements permettent le plus souvent des distinctions précises entre d’une part les grands secteurs d’activité (agriculture, mines, industrie, commerce, transports ainsi que fonction publique et professions intellectuelles (ces deux derniers pouvant être réunis), d’autre part entre ‘indépendants’, cadres et ouvriers, enfin parfois entre secteur public et économie privée. Les recensements hongrois réunissent depuis 1890 et jusqu’en 1930 deux séries d’informations éclatéses toujours selon la confession, l’ethnicité et l’appartenance (résidence) régionale : sur l’ensemble de la population active par branches d’activité et par statut d’une part et sur les agents de la fonction publique et des professions intellectuelles, d’autre part. Ce dernier registre est particulièrement détaillé, puisqu’on y distingue, par exemple, les avocats et les candidats aux barreau, les fonctionnaires titulaires de l’Etat, des comtés et des municipalités (séparément) et des fonctionnaires stagiaires. Pareil recueil d’informations sur un ensemble de données capitales de la stratification s’est vite avéré explosif, parce qu’il constituait une objectivation crue des inégalités dans le processus de modernisation et des transformations majeures intervenues depuis la Gründerzeit des années 1860 dans la répartition des capitaux économiques et culturel avec, notamment, la montée de la bourgeoisie et des professions intellectuelles de souche allogène (surtout juive mais aussi allemande et parfois d’autres origines). Si les gouvernements libéraux sont enclins à un philosémitisme opportuniste, au point d’intégrer au gouvernement des experts d’origine juive baptisés (c’est le cas de plusieurs secrétaires d’Etat, voir du ministre des armées au début de la Grande Guerre[23]) et de faire ennoblir pas moins de 348 familles juives avant 1918 (Janos, A. 1982, 178-179), les services statistiques ont dès les années 1900 commencé à publier des tableaux spéciaux sur la répartition socio-professionnelle de la population opposant sommairement Juifs et non Juifs. (Mazsu, J. 1997.) Du coup on introduit un topo tout neuf sur ‘la conquête de l’espace social’ (équivalent à la Raumeroberung en allemand) par les Juifs. (Ce thème sera plus tard repris par les Nazis dans un sens, il est vrai, altéré.) Ces statistiques auront en tous cas beaucoup servi à l’appui des politiques antisémites mises en oeuvre par les gouvernements du ‘Cursus chrétien’ contre-révolutionnaire, du numerus clausus universitaire (depuis la rentrée de 1920) jusqu’à la législation anti-juive généralisée au moment de la nazification du pays (1938-1944), ceci d’autant plus facilement que le dernier directeur de l’Office Central de Statistique dans l’entre-deux-guerres, Alajos Kovács - expert statisticien de génie - fut aussi un des propagateurs les plus habiles du discours nacional-socialiste en Hongrie. (Voir ses principales contributions à la discussion savante de la ‘question juive’ : Kovács, A. 1920 et Kovács, A. 1938.)    

  On comprend que dans ce contexte les statistiques scolaires aient pris une importance toute particulière. Prendre la mesure de l’étendue et de l’orientation des investissements scolaires propres aux agrégats confessionnels et ethniques revenait à dessiner les contours socio-culturels des élites à venir et à apprécier les chances des groupes en présence d’y accéder. Cette demande sociale implicite a produit certaines des formulations statistiques les plus fines de la condition scolaire et universitaire dans un Etat européen. Il y a non seulement dès avant la fondation de l’Etat constitutionnel des informations globales précises sur la composition ethnique et confessionnelle de l’ensemble des publics scolaires à tous les niveaux de la scolarisation, mais l’on peut aisément trouver pareilles données séparément aussi pour la plupart des établissements secondaires et supérieurs (le plus souvent même pour les écoles primaires) dans les rapports annuels qu’ils publient régulièrement ou, à défaut, dans les matricules d’inscription versés aux archives. Or les lignes de force de la mobilité scolaire différentielle indiquent très tôt des inégalités socio-culturelles flagrantes qui seront politiquement exploitées dans la législation antisémite de l’entre-deux-guerres. Dans les premières décennies de l’époque dualiste les statistiques signalent clairement la stagnation, voire le recul (jusqu’aux années 1890) de la demande de formation d’élite par groupes d’âge concerné, sauf pour les Juifs dont la représentation initiale aura doublée depuis 1867. A l’avant-dernier tournant du siècle les 5 % des Juifs fournissaient déjà plus d’un quart des lycéens et une proportion encore plus élevée des étudiants du pays, en particulier dans les disciplines les plus difficiles. (Karady, V. 2000.) On a pu établir à partir des résultats non publiés du recensement de 1910 la série de données probablement les plus complexes sur la scolarisation confessionnellement différentielle disponibles dans un pays européen, combinant dans des tableaux identiques pour chaque comté et ville autonome (groupés en unités régionales) pas moins de cinq variables : le sexe, l’âge, la religion, le niveau scolaire et l’ethnicité. (Nagy, P. T. 2006). Ces indices globaux ont été complétés (et confirmés) dans une série d’indicateurs statistiques qualitatifs de l’effort scolaire selon la confession et l’ethnicité, tels que des taux de redoublement à l’école primaire, les notes moyennes obtenus aux examens (notamment au bac), la fréquence des abandons d’études, etc. Les politiciens contre-révolutionnaires, animés d’un nationalisme extrémiste de droite, en préparant la loi de numerus clausus se souviendont amèrement des très nettes inégalités d’excellence scolaire que démontrent ces statistiques au bénéfice des Juifs – mais aussi des Luthériens (à majorité allemande ou slovaque). L’idée tant chérie par les mêmes hommes d’une ‘supériorité culturelle magyare’ dans le Bassin des Carpathes ne tenait manifestement guère la route, une fois confrontée à ces objectivations statistiques. Celles-ci démontraient en effet la supériorité éducative – si tant est que ce soit la formulation appropriée – des éléments juifs et germaniques dans le pays.

 On pourrait longuement multiplier encore les exemples de cette profusion de statistiques sociales mettant en relief les effets des variables particularistes dans des matières aussi diverses que la criminalité, le personnel industriel, l’occurrence des maladies, le suicide, les différentes catégories de fonctionnaires et des professions libérales, les actes ecclésiastiques (tels baptèmes, confirmations, mariages religieux, enterrements rituels), etc. Je citerai ici trois cas seulement où cette ‘tradition nationale’ a fourni des résultats probablement uniques dans les annales des études statistiques de l’entre-deux-guerres, parce qu’ils mesurent les effets combinés de deux grandes variables indépendantes – le statut socio-professionnel et la confession – sur d’importants phénomènes d’histoire sociale. Evoquons donc l’enquête sur l’ensemble des étudiants inscrits dans un établissement post-secondaire en 1929 (Laky, D., 1930), de l’étude des impôts sur la fortune et sur le revenu payés par des ménages à Budapest en 1937[24], enfin une longue séries d’enquêtes sur les conditions de logement dans la capitale, notamment sur la propriété immobilière ainsi que sur le confort et sur la taille (nombre des pièces) des appartements des différentes catégories socio-professionnelles et confessionnelles (en données combinées).[25] La pertinence et les objectifs de la saisie des variables ‘particularistes’ se sont toutefois passablement altérés dans l’entre-deux-guerres pour des raisons à la fois techniques et politiques.

Le traité de paix de Trianon a réduit ‘l’Empire Hongrois’ multiethnique en un Etat croupion ne renfermant plus, après 1918, qu’à peine dix pour cent d’allogènes, d’où disparition de l’intérêt politique à faire gonfler dans les statistiques la part des locuteurs magyars. Même avant ce tournant historique, la signification des déclarations d’ethnicité ont tendu à perdre de leur portée ancienne, puisque - sous la pression nationaliste qui prévalait -, les intéressés bilingues ou multilingues devaient régulièrement se qualifier de Hongrois  du moment qu’ils y voyaient un quelconque intérêt. Il n’était par exemple point exceptionnel d’observer les mêmes lycéens de commençer leurs études comme Slovaques ou Allemands et de se transfigurer en Hongrois à l’approche du bac dans les classes supérieures.

Quant aux informations sur les agrégats confessionnels, en particulier sur la poids des Juifs, la crise des conversions déclenchée par les terreurs rouge et blanche en 1919 et le ‘Cursus Chrétien’ qui s’ensuivait, si elles ne prenaient pas globalement des proportions considérables (avec environ 2 % de convertis de la population israélite), elles accroissaient dramatiquement la part des apostates dans la bourgeoisie et dans les professions intellectuelles urbaines. Désormais les statistiques relatives aux Juifs dans les classes moyennes sous-estiment de plus en plus la réalité de leurs présence.

 Pourtant, l’atmosphère délétère créée par la montée des extrémismes de droite et la nazification progressive du discours public sur les Juifs dans les années 1930 génèrent un véritable mouvement de stigmatisation statistique des Juifs. Des savants sérieux (comme le directeur susnommé de l’Office Central) explorent ‘la pénétration du sang juif’ dans les veines du bon peuple chrétien et des recherches statistiques de tous genres sont entreprises pour y distinguer des ‘Aryens’ des ‘non Aryens’, ainsi que – parmi les premiers – les Aryens de souche magyare et les autres. Le livre de synthèse sur la situation des Juifs dans l’entre-deux-guerres du dit directeur de l’Office Central (Kovács, A., 1938) servira d’ailleurs directement à la préparation de la première grande loi anti-juive votée par les Chambres (y compris par les représentants des Eglises), ceci précédant toute pression allemande en ce sens. Le même auteur élaborera aussi les données sérielles par comptés et par villes autonomes sur la répartition et les divisions internes de la population Juifs d’après, entre autres, le nombre d’ascendants juifs (parents et grands parents) à partir des résultats du recensement de 1941. On y voit pour la seule fois distinguer parmi ‘ceux de sang juif’ les personnes recensés ‘légalement comptés comme Juifs’ ou ‘comptés comme non Juifs’ d’après la seconde loi anti-juive de 1939, sur le modèle de la loi idoine de Nuremberg portant définition du ‘statut juif’. (Kovács, A., 1944.) Début des années 1940, après le passage de nouvelles lois et une série de mesures anti-juives prises par décrets, on établit un Institut Hongrois de Recherche sur la Question Juive, tout spécialement doté par le gouvernement. Celui-ci ne tarde pas de publier – entre autres – la liste de tous les auteurs juifs, projuifs et antijuifs de langue hongroise, accompagnée des indications bibliographiques précises de leurs ouvrages pertinents en la matière (au total quelques 3100 titres). (Kolosváry-Borcsa, M., s.d.) On publie dans le même esprit une étude statistique de la franc-maçonnerie avec la liste exhaustive des membres des loges hongroises, afin d’y dénoncer bien entendu l’influence des Juifs. (Palatinus, J., 1944.)

 Etant donné l’existence de la ‘tradition nationale’ en la matière, l’hystérie antisémite qui s’installe à l’ombre de la Peste Brune n’a pas de mal à contaminer comme tache d’huile l’érudition statistique.

 Mais cela n’a pas pu durer. Avec l’entrée en guerre de la Hongrie au côté de son alliée nazie dès juin 1941, une campagne militaire désastreuse et sans objectifs véritables (sinon que de garder la faveur de l’Allemagne hitlérienne), l’effondrement de l’ancien régime était programmée et – avec elle, incidemment – la disparition du paradigme statistique qui, sur le tard, a bassement perverti son brillant héritage intellectuel. Après l’occupation du pays par sa grande alliée le 19 mars 1944, permettant d’abord la déportation de la quasi-totalité des Juifs de province dans les camps de la mort au printemps de la même année, puis la prise du pouvoir par les Croix-Fléchées (mouvement nazi hongrois) le 15 octobre suivant, qui installent un régime de terreur éphémère, la fin du dispositif constitutionnel post-féodal était proche. Les publications statistiques continuent pourtant presque jusqu’à la fin. Les Cahiers statistiques mensuels de Budapest sortent encore en septembre 1944 (sur le mois d’août) avec de précieux chiffres, par exemple relatifs à la mortalité différentielle (notament sur les suicides) selon la confession, alors que la capitale est en proie aux bombardements et à la terreur anti-juive. L’Annuaire statistique de Budapest pour 1943 sera préparé, comme si rien n’était, pour octobre 1944, mais sa publication n’interviendra qu’après la guerre. Le dernier Annuaire de type classique de l’Office Central de Statistique portera sur 1942.

A la suite de la Libération (avril 1945) le nouveau régime de transition commencera par faire garder l’illusion que le vieux dispositif statistique échappera à la grande transformation qui s’annonce. L’Office Central – épuré de ses collaborateurs pronazis – publiera encore des données simplifiées d’ordre démographique et d’autres (en particulier sur les publics scolaires) selon des variables particularistes pour 1946/47. Le Bureau de Budapest fera de mëme en comparant les années 1944-1946. Ce sera pour la dernière fois. L’utopie universaliste qui fonde l’idéologie communiste n’admettra plus la pertinence socio-culturelle des attaches particularistes des populations qui lui sont soumises. En plus, les statistiques confessionnelles et ethniques sont désormais regardées comme profondément compromises, étant donné leur utilisation sous le régime pro-nazi. A la perversion droitère dans le recours aux statistiques, les gestionnaires du régime de transition se sont d’ailleurs empressés d’en rajouter. Dans leur acharnement de faire partager la responsabilité pour le nazisme local par les populations de souche allemande, ils organisent (avec la bénédiction des Alliées victorieuses) leur punition collective arbitraire qu’expriment l’expulsion et l’expatriement forcé en Allemagne de larges secteurs de la paysannerie germanique. Pour ce faire, ils se fondent en toute illégalité, au mépris du secret garanti des données personnelles, sur les déclarations de langue maternelle enregistrées au recensement de 1941. Pareil grain de sel d’ignominie statistique  ne pouvait que confirmer l’idée, dictée par la laïcisation progressive de la société, que des informations relevant des croyances ou de l’héritage culturel ne devaient plus avoir de place parmi les données d’intérêt public d’un régime qui se voudrait démocratique. Les principes de l’universalisme libéral et communiste ont ainsi convergé, à titre exceptionnel, pour éliminer de telles publications. Elles disparaîtront effectivement du champ des études statistiques autant que dans ses sources majeures (recensements, enquêtes spéciales, état civil[26]) pendant toute la durée du régime socialiste qui – dans sa facture stalinienne  - s’établit définitivement en 1948, ‘l’année du tournant’.

 En fait, le paradigme statistique élaboré sous les régimes présocialistes sera tout d’abord entièrement démoli. Si quelques publications émaciées sortent encore en 1949, désormais les services statistiques – dûment réorganisés si tant est qu’ils survivent (le Bureau de Budapest devant être supprimé) -, ne travailleront pendant de longues années que pour l’usage interne de la nomenklatura. Officiellement la doctrine stalinienne qualifie les statistiques, même l’observation démographique, de ‘science bourgeoise’, ceci jusqu’au dégel qui, en Hongrie, culmine dans la Révolution d’octobre 1956. Ce n’est qu’en 1957 que les Annuaires statistiques de l’Office Central reparaîtront (le premier offrant une timide vue retrospective des années 1949-1955) , mais dans une forme totalement rénovée. Ils sont surtout vidés de tout contenu qui rappellerait que l’Etat socialiste était au fond l’héritier illégitime (puisque jamais confirmé par un vote populaire démocratique) d’une société et d’une civilisation multiethnique et multiconfessionnelle.     

 

 

 

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[1] Les estimations pour la première moitié du 19e siècle varient entre 39 % et 42 % dans la Hongrie avec la Transylvanie, mais sans la Croatie.

[2] En 1839 d’après Fényes il y avait dans la population du royaume 47 % de Catholiques romains, 10 % d’Uniates (Catholiques grecs),  8 % Luthériens, 14,5 % Calvinistes, 0,4 % Unitarians, 18 % d’Orthodox and 2,5 % de Juifs. Au cours du siècle les proportions des Juifs se doublera grâce à un bilan migratoire positif (jusqu’aux années 1850) et à la forte croissance naturelle. La part des Catholiques romains aussi connaîtra une certaine hausse en raison d’une natalité différentielle favorable et des conversions.

[3] On en a pour preuve le fait que les histoires récentes du raisonnement statistique (tels Stigler, S. 1986 ou Desrozières, A. 1998) ignorent comme d’un commun accord les faits ethniques ou religieux, alors qu’elles ne se privent pas d’évoquer des problèmes topiques aussi singuliers que les suivants : les fratries, les banqueroutes, la biologie, les naissances, la mortalité, la criminalité, l’écologie, la géologie, la géodésie, la justice, l’assurance, les mouvements de la mer, la nuptialité, la psychologie, les militaires, les sensations, le rapport numérique entre les sexes, la sélection sexuelle, la sociologie, les morts-nés, le suicide, le bien-être, les guêpes…(Voir l’indexe de Stigler 1986.)

 

[4] Ses Notitia Hungariae Novae Historico Geographiaca /Connaissance historique et géographique de la Hongrie contemporaine/  (1735-1742), décrivent  en 4 volumes 10 comtés du pays, totalisant pas moins de 2693 pages. Ces volumes représentent seulement une fraction de son oeuvre, dont la majorité – description de 38 comtés – est restée inédite de son vivant.

[5] Statistik des Königreichs Ungarn (Pest, 1798).

[6] On oppose communément ces deux orientations britannique et allemande dans les études portant sur l’émergence de la discipine statistique moderne. (Desrozières 1993, 18-25, 74.)

[7] Ses principaux ouvrages : Magyarországnak s a hozzá kapcsolt tartományoknak mostani állapotja statistikai és geographiai tekintetben, I–VI. (Pest, 1836–1840), /L’état actuel de la Hongrie et des provinces qui s’y rattachent de point de vue statistique et géographique/;  Statistik des Königreichs Ungarn, I–II. (Pest, 1843–1844);  Ungarn im Vormärz. Nach Grundkräften. Verfassung, Verwaltung und Kultur dargestellt. (Leipzig, 1851);  Az ausztriai birodalom statistikája és földrajzi leirása, /Statistique et description géographique de l’empire autrichien/ (Pest, 1867).

[8] A magyar birodalom nemzetiségei és ezek száma vármegyék és járások szerint, /Les nationalité de l’empire hongrois et leurs effectifs par comtés et par districts/ (Pest, 1867).

[9] Avant la ’réception’ en 1895 du culte israélite parmi les confessions protégées par l’Etat, les Juifs étaient rangés parmi les groupes ethniques, tout en étant distingués comme agrégat religieux aussi. D’où une confusion régulière entre faits religieux et ethniques ou ’nationalitaires’ (comme on disait en Hongrie au 19e siècle).

[10] Parmi ses oeuvres on peut citer les suivantes : Az ausztriai birodalom, jelesen a magyar korona országainak statisztikai kézikönyve, /L’empire autrichien, notamment le manuel statistique des pays de la couronne hongroise/ (Pest, 1865); A statisztika elmélete, /Théorie statistique/,  (Budapest., 1869); Újabb adatok Magyarország bûnvádi statisztikájából, /Données nouvelles des statistiques criminelles de la Hongrie/, (Budapest., 1879); Bányászatunk jelen állapota… (Bp., 1882); Magyarország és egyes törvényhatóságainak népmozgalma 1877–79, /Le mouvement de la population de la Hongrie et de ses départements administratifs en 1877-1879/ (Budapest., 1882).

[11] Le Compromis (Ausgleich) de 1867 prévoyait l’indépendance de la Hongrie pour ses affaires intérieures sous un gouvernement élu au suffrage censitaire, tandis que les ’affaires communes’ (relations extérieures, armée commune et fiances touchant les dernières) continuaient à ressortir à la compétence de commissions communes aux deux parties de la Monarchie et (surtout pour l’armée) du roi François-Joseph.

[12] La ville de Budapest sera formée en 1873 de trois communes historiques, l’ancienne cité de Buda (avec le château du roi) et la commune d’Obuda sur la rive droite du Danube et la ville royale de Pest, sur la rive gauche.

[13] Hazánk népe a közgazdaság és társadalmi statisztika szempontjából, /Notre patrie et son peuple du point de vue de l’économie et de la statistique sociale/ (Pest, 1871); Acktenstücke zur Organisation der Landesstatistik in Ungarn, (Budapest, 1874); Rapport sur l'état de l'agriculture en Hongrie. (Budapest, 1878); Magyarország közgazdasági és mívelõdésí állapotai, /La condition économique et culturelle de la Hongrie/, (Budapest., 1879).

 

 

[14] Il procèdera à la ’magyarisation’ de son patronyme de Klettl en Keleti en 1862 seulement.

[15] Cette série fut précédée par une autre de 1872 à 1890. La nouvelle série sera ininterrompue (avec quelques numéros réunis pour plusieurs années pendant et après la Première Guerre Mondiale) jusqu’à 1942, puis reprise de 1946 à 1948, mais avec un contenu de plus en plus allégé et altéré.

[16] Série ininterrompue jusqu’en 1944 (sur l’année 1943) et reprise seulement pour les années 1946-1947 (ce dernier volume étant publié en 1948).

[17] Les deux séries s’appelleront Magyar statisztikai közlemények /Communications statistiques hongroises/ avec 116 volumes de la ’Nouvelle série’ de 1891 à 1943 et Pest vàros statisztikai közleményei /Communications statistiques de la ville de Pest/, puis Budapest Székesfövàros Statisztikai Közleményei /Communications de l’Office de Statistique de la Capitale Résidentielle de Budapest/ - 100 volumes (souvent doubles, triples voire quadruples) de 1870 à 1948. 

[18] Les débuts du mouvement international des statistiques remontent à 1853, date du premier de ces Congrès à Bruxelles, organisé sur l’impulsion de Quètelet. 

[19] Les derniers recensements nationaux de population ont eu lieu en 1941 et 1949 pour des raisons de géo-politique conjoncturelles. En 1941 le pays a récupéré provisoirement (jusqu’à la durée de la guerre) certains de ses territoires perdus en 1919. 1949 marque la première année de l’ère socialiste.

[20] József Kõrösy commence ses activités avec une vingtaine de collaborateurs occasionnels (journaliers). Le Bureau de Budapest aura en 1939 pas moins de 110 collaborateurs permanents, dont 83 cadres spécialisés. (Buziássy 1946, 34.)

[21] C’est ainsi que les Juifs yiddischisants se sont retrouvés classés avec des Allemands dans les statistiques des nationalités, puisque leur langue n’était pas regardée par l’administration comme idiome national.

[22] Le nombre des ’villes à administration autonome’ (anciennement ’villes royales’) a augmenté avec le temps, mais les effectifs des comtés (aux fonctions semblables à celles des départements en France) n’aura changé qu’après 1919. Dans l’entre-deux-guerres il y a 25 comtés et 11 villes autonomes.

[23] En 1917-18 il y aura dans plusieurs gouvernements précédant la chute du régime libéral un ministre de la justice et de la réforme électorale de confession israélite en la personne de Vilmos Vàzsonyi, homme politique populaire et député au parlement d’un arrondissement central de Budapest.

[24] Anzahl und Einkommen der Einkommensteuerpflichtigen in der Hauptstadt, 1937, Budapest, Rapports statistiques de la capitale résidentielle de Budapest (en hongrois), n° 90/3.

[25] Rapports statistiques de la capitale résidentielle de Budapest (en hongrois) n° 54/2, 66/1,  68/1, 70/3, 87, 92/3. 

 

[26] Les registres de naissance de Budapest ont toutefois conservé jusqu’en avril 1950 – sans doute davantage par inertie administrative que par inadvertance - les vieilles rubriques relatives à la religion, que les fonctionnaires municipaux faisaient donc remplir encore en pleine période stalinienne.